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lui-même, les capitaux ne seraient pas plus nombreux, la somme à payer serait la même ; mais comme il n’y aurait plus qu’un seul titre, on le paierait plus cher que lorsqu’il est en concurrence avec d’autres. Si cette idée avait besoin d’être appuyée par un exemple, nous choisirions celui-ci. — Supposez trois appartenons à louer dans trois maisons appartenant à trois propriétaires différens, ou supposez ces trois maisons appartenant à un même propriétaire : dans lequel de ces deux cas les appartemens ont-ils la chance d’être loués plus cher ? La réponse n’est pas douteuse ; il est évident que le même propriétaire possédant les trois maisons pourra louer les appartemens plus cher que si elles sont possédées par trois propriétaires. Pourquoi cela ? Parce qu’il sera maître de la situation et qu’il pourra mieux régler le rapport de l’offre à la demande. Il en sera de même de la rente : lorsque les capitalistes qui cherchent la garantie de l’état, au lieu d’avoir à choisir entre la rente et les obligations, n’auront plus en face d’eux qu’un seul titre, qui sera la rente, ils le paieront plus cher qu’en ce moment où ils ont le choix.

Il y a une autre considération encore qui milite en faveur du titre unique, c’est l’action de la spéculation. Personne ne nie les avantages de la spéculation ; elle a beau agir fictivement sur les valeurs en les achetant ou en les vendant, elle n’en est pas moins le levier du crédit, et on peut dire qu’il n’y a pas de marché régulier là où elle n’existe pas. À quelle condition la spéculation se porte-t-elle sur un marché ? A la condition d’y être suivie par les capitaux. Si les transactions ne devaient jamais avoir lieu qu’entre gens vendant ce qu’ils ne peuvent pas livrer et entre d’autres achetant ce qu’ils ne peuvent pas payer, ce serait un jeu complètement stérile. Pour que la spéculation soit efficace, il faut qu’elle soit suivie par les capitaux, qu’il y ait des gens qui livrent les titres qu’elle a vendus et d’autres qui prennent les titres qu’elle a achetés. Or aujourd’hui les capitaux sont divisés : les uns se portent sur les obligations, les autres sur la rente, de telle sorte que l’action de la spéculation est divisée elle-même, ou plutôt, comme elle ne peut agir que sur la rente, elle est restreinte en proportion des capitaux dont elle dispose. Admettons qu’il n’y ait plus qu’un titre : tous les capitaux se portant sur ce titre, la spéculation garde le libre emploi de toutes ses forces. En 1844 et 1845, la France était assurément beaucoup moins riche qu’elle ne l’est à présent, la Bourse moins pourvue de capitaux, et cependant la rente était à 84 francs. Pourquoi ? Parce que les obligations n’existaient pas, qu’il n’y avait que la rente pour attirer les faveurs des capitalistes et de la spéculation. On peut poser comme un axiome en finance qu’à capitaux égaux moins il y a de titres, plus il y a d’élasticité dans le crédit.