Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/713

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

métal, dont la qualité, au contraire s’était toujours améliorée, ni même dans l’emploi d’une poudre trop brisante, comme on le crut quelque temps, car les plus vieilles poudres se comportèrent à cet égard comme celles de nouvelle fabrication. Le général Piobert pensa que le nouveau mode de chargement était le véritable motif de la dégradation rapide des bouches à feu. Le boulet, soumis directement à l’action d’une forte charge de poudre, recevait comme un choc l’impulsion des gaz, et la pièce devait en ressentir le contrecoup dans les battemens successifs qui ont lieu dans l’arme avant la sortie du projectile. Il n’en était pas ainsi dans l’ancien système : les premières portions de gaz produites trouvaient à se loger dans le vide existant entre la poudre et le boulet ; elles se comprimaient ensuite, ainsi que le bouchon, à mesure que la combustion se propageait, et le boulet, garanti par une sorte de matelas d’une impulsion trop subite, recevait une pression graduée et successivement croissante, qui ménageait les parois de la bouche à feu. Pénétré de la justesse de ce raisonnement, M. le général Piobert imagina d’obtenir le vide nécessaire, non plus entre le boulet et la charge, mais tout autour de cette dernière, à laquelle il donna pour ce motif un diamètre inférieur à celui de l’âme du canon qui doit la recevoir[1]. L’expérience a prononcé en faveur de ce système, et l’invention des charges allongées, libéralement publiée par la France, est en usage aujourd’hui dans toute l’Europe. La durée des pièces de bronze s’est ainsi élevée à deux et même à trois mille coups ; plusieurs ont atteint ce chiffre excessif au siège de Sébastopol, et des pièces de fonte ont dépassé quatre mille coups. Il y a quelques années encore, la découverte des charges allongées était regardée comme le progrès le plus important de l’artillerie moderne.

Si nous avons insisté un peu longuement sur les considérations qui prouvent que la combustion de la poudre exige un temps appréciable, quoique très court, c’est que là se trouve la clé des phénomènes les plus intéressans et les plus inattendus présentés parce singulier agent. On peut même affirmer qu’une inflammation plus rapide obligerait à abandonner la plupart des armes à feu connues.

  1. Il est inutile d’ajouter que ce vide doit être maintenu dans d’assez étroites limites, car chacun sait qu’il suffit d’un tampon assez faible, placé à l’extrémité d’un fusil, pour le faire éclater. L’effet tantôt favorable, tantôt désastreux d’une bourre séparée de la charge s’explique très bien par cette considération, que les premières portions de gaz se répandant dans l’espace libre tout entier, elles sont comprimées par celles qui les suivent ; mais ce mouvement, qui dégage la culasse, peut être moins rapide que la combustion ; il s’y joint d’ailleurs des alternatives de chaleur et de refroidissement qui contribuent à rendre la tension très inégale dans un tube étroit et long, tel qu’un fusil. À de certains momens, la tension peut donc être trop faible encore à la bouche pour dégager le tampon, et assez puissante au tonnerre pour faire éclater l’arme.