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par enchantement depuis que Tonine était auprès de lui ; alors vous êtes le fils d’un homme bien bon, envers qui j’ai été ingrat ! Présentez-lui mon respect et mes excuses.

Quand Sept-Épées fut en voiture avec le jeune docteur, celui-ci le questionna sur Tonine. — Je me rappelle, dit-il, le mariage de sa sœur avec Molino ; Tonine était alors une enfant. Depuis ce temps-là, j’ai été absent ; j’ai fait mes études à Paris. Revenu depuis peu, je ne connais plus personne au pays. Le hasard m’a fait rencontrer cette jeune fille en venant chez vous. J’ai été très frappé de son langage et de son air distingué. Elle n’est donc pas mariée ? Elle doit, comme toutes les ouvrières de la Ville-Noire, avoir du moins un amoureux ? — Et comme Sept-Épées fronçait involontairement le sourcil, il se reprit et dit : — Un fiancé ?

Sept-Épées répondit assez froidement que Tonine était sage, et que tout le monde la respectait.

— Cela ne m’étonne pas, reprit le jeune médecin d’un ton pénétré. Et après quelques questions et réflexions sur Audebert, dont son père lui avait parlé, il revint à Tonine : Elle vous a traité en camarade ; vous vous connaissez depuis l’enfance ? — Sept-Épées fit des réponses courtes et insignifiantes qui laissaient tomber la conversation ; mais, quand le docteur le déposa chez le pharmacien, il ajouta :

— Il faudrait une femme auprès de votre malade : tâchez que cette Tonine, qui a si bon cœur, reste auprès de lui. Voilà le temps remis ; je retournerai le voir après mon dîner.

L’effet que Tonine avait produit sur ce jeune homme préoccupa singulièrement Sept-Épées, car il oublia de passer chez le charron pour le raccommodage de sa roue ; il oublia également de faire avertir Gaucher, quoique Tonine le lui eût recommandé. Il ne prit souci que de presser le pharmacien et de s’en retourner au plus vite avec les médicamens.

Il brûla le chemin et trouva Tonine assise auprès du lit d’Audebert et causant avec lui. Le malade était entièrement calmé et soumis. Elle lui fit prendre les poudres qu’il avait juré de ne pas avaler, sans qu’il fît la moindre objection. Et il dit alors, en tenant les mains de son jeune maître : — Je t’ai bien ennuyé, mon pauvre petit bourgeois ! Tantôt j’étais comme fou, et j’ai bien vu que tu ne savais où donner de la tête ; mais Dieu m’a envoyé un de ses anges : cette Tonine m’a dit des choses qui m’ont mis du baume dans le sang. Je ne savais pas qu’elle avait plus d’esprit à elle seule que toi et moi. Voilà comme on passe des années les uns à côté des autres sans se connaître et sans s’apprécier ! Tonine, si vous voulez que je tâche de dormir, il faut me jurer que vous resterez là jusqu’à mon réveil.

Tonine le promit et demanda à Sept-Épées s’il avait fait avertir