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nature contre un pouvoir tenace et minutieux, qui, une fois introduit, ne les lâchera pas, en passant ainsi du joug de l’arbitraire à celui de la routine, nos nouveaux concitoyens gagnent au change autant qu’ils s’imaginent. Je fais autant de vœux que qui que ce soit pour que le jour arrive promptement où l’administration militaire pourra déposer ses pouvoirs ; mais sait-on l’autre souhait que j’ajoute tout bas ? C’est que ce jour-là elle soit remplacée par le moins d’administration possible, et c’est à préparer ce résultat, qui, bien que négatif, aurait sa valeur, que pourrait servir utilement l’apprentissage de la vie municipale fait dès aujourd’hui et du vivant même de l’autorité militaire.

L’essentiel à nos yeux, comme on le voit, est donc moins de se délivrer au plus tôt de l’autorité militaire, comme le pensent les journalistes réformateurs de la colonie, que d’en modifier l’esprit et l’exercice, et de lui inspirer, tant à l’égard des Arabes que des Européens, une conduite et des intentions nouvelles. Dans l’état présent des choses, l’administration militaire ménage trop les uns et contient trop les autres ; elle a trop de respect pour la vieille communauté arabe et apporte trop d’entraves à la naissance de la communauté européenne : ce qui revient au fond à dire qu’elle cède au penchant de toutes les autorités de ce monde, à savoir de considérer en toutes choses le statu quo comme meilleur parce qu’il est plus commode, le progrès comme dangereux parce qu’il est importun, de prendre son propre repos comme le thermomètre du bon ordre, et de voir un désordre dans ce qui le trouble, soit résistance, soit changement. Les militaires ne sont pas les seuls à être atteints de cette faiblesse, mais ils n’ont pas non plus le privilège d’en être exempts. Il faut, pour les y arracher, une impulsion qui vienne d’en haut : d’où peut-elle partir, et quelle main peut la donner ? Ce n’est pas une administration qui manque en Algérie, c’est un chef qui mette cette administration en œuvre. Le corps est excellent, souple et dispos ; mais là comme ailleurs c’est de la tête que le mouvement doit partir. Quelle doit être cette tête ? comment constituer en Algérie cette autorité supérieure qui peut utiliser le pouvoir militaire au lieu de le détruire, par une hostilité sourde ou de le conserver dans une immobilité stérile ? C’est la dernière et non la moins délicate question de cet examen.

À notre sens, ce chef qui manque à l’administration de l’Algérie ne peut sortir ni de l’ancien gouvernement-général ni du ministère nouvellement créé. L’une et l’autre organisation portent en elles-mêmes des causes de stérilité et d’impuissance destinées à triompher à la longue des meilleures intentions et à paralyser l’effet des plus sages mesures. Ni l’une ni l’autre ne peuvent être constituées de façon à dominer réellement et à manier efficacement les pouvoirs