Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont elles disposent. Pour imprimer un mouvement fécond à l’administration militaire, l’ancien gouverneur-général lui appartenait, la représentait trop exclusivement. On avait tout disposé pour qu’il n’eût d’autre intérêt et d’autre esprit que ceux de l’armée. Dans toutes ses relations soit avec ses subordonnés en Algérie, soit avec l’autorité centrale de la métropole, une suite de dispositions méfiantes avait enserré son pouvoir, de manière à faire de lui l’homme de l’armée plutôt que son chef et son directeur. En Afrique, son commandement, très limité dans tous les territoires déjà appelés à la vie civile, ne s’exerçait en pleine liberté que sur les territoires militaires. Tous les élémens d’administration étrangers au service de l’armée, les finances, l’instruction publique, les cultes, la justice, échappaient presque entièrement à son contrôle pour correspondre directement à Paris, à côté de lui et au-dessus de sa tète, avec les diverses administrations centrales dont ces services dépendent. Une pareille disposition devait lui faire considérer les élémens civils de la colonie comme naturellement hostiles à son pouvoir et ne pouvant grandir qu’à ses dépens. Il se trouvait en quelque sorte cantonné dans son domaine, dans ses attributions militaires, voyant décroître l’étendue de sa compétence à chaque progrès fait par la loi civile, comme l’ombre fuit devant la lumière. Pour applaudir à cette déchéance et y travailler de bonne foi, il lui fallait un véritable effort de désintéressement, et le désintéressement le plus sincère est un sentiment trop voisin de la résignation pour communiquer jamais à l’activité beaucoup d’ardeur. En tout cas, sa principale préoccupation se portait toujours, ne fût-ce que par conscience, là où pesait la plus lourde responsabilité. Déchargé de la plupart des intérêts civils de la colonie, il éprouvait une propension naturelle à s’en détacher, et en même temps qu’il était ainsi rivé en quelque sorte, en Afrique, à l’élément militaire, une dépendance étroite le rattachait, à Paris, au ministère de la guerre, son unique supérieur, dont il devenait en toutes choses, et pour les moindres actes de son administration, l’humble subordonné. Ainsi tout était militaire au-dessous et autour de lui ; son regard ne dépassait pas les horizons de l’armée : en lui, la qualité d’administrateur s’effaçait trop complètement devant celle de soldat ; les devoirs et les habitudes de l’obéissance limitaient ses vues et étouffaient les hautes inspirations qui conviennent au gouvernement.

En revanche, si le gouverneur-général tenait trop étroitement à l’armée pour s’élever au-dessus de son corps et pouvoir le guider dans des voies nouvelles, par un excès opposé, le ministère de l’Algérie lui est aujourd’hui trop étranger pour exercer sur elle une action efficace. Il lui est étranger non-seulement par la qualité civile de son chef, mais parce qu’on n’a pris soin d’établir entre ce