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si bien que Blood devint une sorte de héros et fut reçu dans le meilleur monde. Après de si beaux exemples, on pouvait tout oser. Le duc de Buckingham, amant de la comtesse de Shrewsbury, tue le comte en duel ; la comtesse, déguisée en page, tenait le cheval de Buckingham, qu’elle embrassa tout sanglant ; puis le couple de meurtriers et d’adultères revint publiquement, et comme en triomphe, à la maison du mort. On ne s’étonne plus d’entendre le comte de Kœnigsmark traiter « de peccadille » un assassinat qu’il avait commis avec guet-apens. Je traduis un duel d’après Pepys, pour faire comprendre ces mœurs de soudards et de coupe-jarrets. « Sir Henri Bellasses et Tom Porter, les deux plus grands amis du monde, parlaient ensemble, et sir H. Bellasses parlait un peu plus haut que d’ordinaire, lui donnant quelque avis. Quelqu’un de la compagnie qui était là dit : — Comment ! est-ce qu’ils se querellent qu’ils parlent si haut ? — — Sir Henri Bellasses, entendant cela, dit : Non, et je veux que vous sachiez que je ne querelle jamais que je ne frappe. Prenez cela comme une de mes règles. — Comment, dit Tom Porter, frapper ? Je voudrais bien voir l’homme d’Angleterre qui oserait me donner un coup. — Là-dessus sir Henri Bellasses lui donna un soufflet sur l’oreille, et ils allèrent pour se battre… Tom Porter apprit que la voiture de sir Henri Bellasses arrivait ; alors il sortit du café où il attendait les nouvelles, arrêta la voiture, et dit à sir Henri Bellasses de sortir. — Bien, dit sir Henri Bellasses, mais vous ne m’attaquerez pas pendant que je descendrai, n’est-ce pas ? — Non, dit Tom Porter. Il descendit, et tous deux dégainèrent. Ils furent blessés tous deux, et Henri Bellasses si fort, qu’il mourut dix jours après. » Ce n’étaient pas ces bouledogues qui pouvaient avoir pitié de leurs ennemis. La restauration s’ouvrit par une boucherie. Les lords conduisirent le procès des républicains avec une impudence de cruauté et une franchise de rancune extraordinaires. Un sheriff se colleta sur l’échafaud avec sir Henri Vane, fouillant dans ses poches, lui arrachant un papier qu’il essayait de lire. Pendant le procès du major-général Harrison, le bourreau fut placé à côté de lui, en habit sinistre, une corde à la main. On voulut lui donner tout au long l’avant-goût de la mort. Il fut détaché vivant de la potence, éventré. Il vit ses entrailles jetées dans le feu ; puis il fut coupé en quartiers, et son cœur encore palpitant fut arraché et montré au peuple. Les cavaliers par plaisir venaient là. Tel renchérissait ; le colonel Turner, voyant qu’on coupait en quartiers le légiste John Coke, dit aux gens du sheriff d’amener plus près Hugh Peters, autre condamné. L’exécuteur approcha, et, frottant ses mains rouges, demanda au malheureux si la besogne était de son goût. Les corps pourris de Cromwell, d’Ireton, de Bradshaw, furent déterrés,