Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui va finir, tout disparaît ; il ne reste chez lui qu’un appétit rassasié et des sens éteints ; le pis, c’est qu’il écrit sans verve et correctement ; l’ardeur animale, la sensualité pittoresque lui manquent ; on retrouve dans ses satires un élève de Boileau. Rien de plus choquant que l’obscénité froide. On supporte les priapées de Jules Romain et la volupté vénitienne, parce que le génie y relève l’instinct physique, et que la beauté, avec ses draperies éclatantes, transforme l’orgie en une œuvre d’art. On pardonne à Rabelais quand on a senti la sève profonde de joie et de jeunesse virile qui regorge dans ses ripailles : on en est quitte pour se boucher le nez, et l’on suit avec admiration, même avec sympathie, le torrent d’idées et de fantaisies qui roule à travers sa fange ; mais voir un homme qui tâche d’être élégant en restant sale, qui veut peindre en langage d’homme du monde des sentimens de crocheteur, qui s’applique à trouver pour chaque ordure une métaphore convenable, qui polissonne avec étude et de parti-pris, qui, n’ayant pour excuse ni le naturel, ni l’élan, ni la science, ni le génie, dégrade le pur style français jusqu’à cet office, c’est voir un goujat qui s’occupe à tremper une parure dans un ruisseau. Après tout viennent le dégoût et la maladie. Tandis que La Fontaine reste jusqu’au dernier jour capable de tendresse et de bonheur, celui-ci à trente ans injurie la femme avec une âcreté lugubre. « Quand elle est jeune, elle se prostitue pour son plaisir ; quand elle est vieille, elle prostitue les autres pour son entretien. Elle est un piège, une machine à meurtre, une machine à débauche. Ingrate, perfide, envieuse, son naturel est si extravagant, qu’il tourne à la haine ou à la bonté absurde. Si elle veut être grave, elle a l’air d’un démon ; on dirait d’une écervelée ou d’une coureuse quand elle tâche d’être polie : disputeuse, perverse, indigne de confiance, et avide pour tout dépenser en luxure. » Quelle confession qu’un tel jugement, et quel abrégé de vie ! On voit à la fin le viveur hébété, desséché comme un squelette, rongé d’ulcères. Parmi les refrains, les satires crues, les souvenirs de projets avortés et de jouissances salies qui s’entassent comme dans un égout dans sa tête lassée, la crainte de la damnation fermente ; il meurt dévot à trente-trois ans.

Tout en haut, le roi donne l’exemple. « Ce vieux bouc, » comme l’appellent les courtisans, se croit gai et élégant ; quelle gaieté et quelle élégance ! L’air français ne va pas aux gens d’outre-Manche. Catholiques, ils tombent dans la superstition étroite ; épicuriens, dans la grosse débauche ; courtisans, dans la servilité basse ; sceptiques, dans l’athéisme débraillé. Cette cour ne sait imiter que nos ameublemens et nos costumes ; l’extérieur de régularité et de décence que le bon goût public maintient à Versailles est rejeté d’ici comme incommode. Charles et son frère, en robe d’apparat,