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grec aime ses poètes, et il sait à l’occasion les secourir dans leurs besoins et les soutenir dans les épreuves de la vie publique. Qu’un écrivain par exemple soit privé des ressources nécessaires à l’impression de ses œuvres, il fait appel à la nation et lance de toutes parts des listes de souscription qui sont rapidement couvertes de signatures[1]. En 1858, un poète satirique, Soutzo, ayant été condamné à la prison pour de trop directes offenses à la dignité royale, les autorités durent, le jour de la condamnation, appeler toutes les troupes sous les armes afin de contenir l’effervescence de la foule et de s’opposer à la délivrance du prisonnier[2].

Avant d’examiner en détail les plus remarquables productions qui ont succédé, dans la même langue et sur le même sol, aux chefs-d’œuvre de l’antiquité, il convient d’en esquisser la physionomie générale. Le sentiment qui domine la poésie grecque moderne tout entière, le mobile qui l’entraîne, le principe qui la féconde, c’est l’amour de la patrie et de la liberté. À l’époque où le joug de la domination musulmane était le plus pesant, la liberté avait déjà, au sein des forêts profondes, sur le sommet des montagnes abruptes, ses autels et ses défenseurs, ses poètes et ses soldats ; tandis que les klephtes versaient leur sang pour elle, les improvisateurs la chantaient. Aujourd’hui les Hellènes sont encore trop voisins de l’époque de leur affranchissement pour que leurs poètes n’y trouvent pas la source à peu près exclusive de leur inspiration. La douce mélancolie, la vague tristesse, les rêveries des imaginations occidentales sont des sentimens étrangers à la muse des Grecs modernes. Le culte du pur idéal n’a point encore pénétré dans cette race, que les besoins de la réalité pressent de toutes parts, et qui doit lutter encore contre les obstacles multipliés que rencontre sa régénération : race active, audacieuse, héroïque, mais naturellement peu portée aux contemplations abstraites ; douée néanmoins de grands instincts poétiques, sensible aux moindres impressions, trouvant dans les circonstances les plus ordinaires de la vie l’occasion de chanter et d’improviser. La nature,

  1. Les livres ne sont pas le seul mode de publicité que les écrivains grecs aient à leur disposition. Les journaux qui, au nombre de cinquante environ, paraissent chaque jour à Athènes ou dans les villes principales, et qui, grâce a la liberté dont la presse jouit en Grèce, discutent à leur gré et souvent avec plus d’emportement que de sagesse les actes du gouvernement, réservent à peu près tous une place à des vers ou a des romans. Il existe surtout un certain nombre de recueils littéraires dont le but est d’entretenir dans les classes élevées le culte des lettres, de diriger le goût public, d’épurer le langage et d’enseigner aux écrivains modernes à suivre les traditions saines et pures de l’antiquité. On peut citer l’Euterpe et la Pandore, ce dernier recueil, fondé il y a une dizaine d’années par MM. Dragoumis, Rangabé, Papparigopoulo, est le plus important.
  2. Le roi Othon a depuis fait grâce au poète et lui a rendu la liberté.