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purement héroïque que nous avons vue jusqu’ici ; elle est douée de tous les charmes de son sexe, elle en partage aussi toutes les faiblesses. Éprise de celui qu’on appelait le bon Jean, parce qu’il s’efforçait parfois d’adoucir les rigoureuses sentences de son oncle, elle apprend avec désespoir de la bouche même de son père la vaste conjuration ourdie par ses compatriotes. Sachant que les jours de Jean sont menacés, elle tremble ; elle hésite entre l’amour et le devoir. Enfin, à force de tristesse et de mystérieuses paroles, elle révèle à Jean le danger qu’il court. Tels sont en peu de mots les élément principaux du poème.

Le premier chant est une sorte de sombre ouverture ; l’inexorable gouverneur de Chios ordonne les supplices, distribue les condamnations, tandis que son neveu hasarde de timides remontrances, et tente vainement de lui faire écouter la voix du peuple qui gémit et murmure. Au second chant, l’action s’engage et se poursuit sans digression. Par une nuit obscure, deux hommes se rencontrent sur l’une des plages les plus désertes de l’île : Isidore et l’évêque grec Procopios, l’un des chefs les plus ardens du complot. Procopios représente ici l’antagonisme des églises grecque et latine, qu’un abîme sépare, et qui ont de tout temps rempli l’Orient du bruit de leurs rivalités. Ce qu’il veut, c’est l’expulsion du clergé latin, qui a suivi les Génois et qui partage leur pouvoir. Isidore apprend au pontife que quatre vaisseaux et trois cents guerriers, envoyés par l’impératrice de Byzance, sont dans la rade ; au premier signal, ils prêteront main-forte aux insurgés. « En attendant, ajoute-t-il, je suis mendiant et fou ; je vais parcourir la ville et répéter au peuple ses chansons favorites. L’âge, l’exil, mes haillons, ma folie, me rendront méconnaissable. » Le lendemain, Procopios s’en allait prêcher par les bourgades et les villages, tandis que dans la ville un insensé, assis en face de la forteresse, chantait et rassemblait les passans. En l’écoutant, les uns riaient, les autres pleuraient. En même temps voici ce qui se passait chez Mynas :


« Marie est seule dans le jardin ; son bras, pur et blanc comme un marbre antique, soutient sa tête pensive. Elle regarde les fleurs, fleur charmante elle-même, mais nulle d’entre elles n’a d’attraits pour ses yeux. Elle écoute, mais ce n’est point le chant du rossignol qui captive son oreille.

« Soudain un bruit se fait entendre ; elle s’élance, rapide et légère, parmi les citronniers ; les branches en fleurs s’entr’ouvrent devant elle. C’est Jean, calme et joyeux comme de coutume. Ils se sourient l’un à l’autre. Marie fut la première à rompre le silence. « Je craignais que tu ne vinsses pas, dit-elle. — Lorsque l’aimant aura cessé d’attirer le fer, lorsque le corps sera sans ombre et la mer sans poissons, alors, ma bien-aimée, je pourrai vivre loin de toi ; alors seulement, si tu m’appelles, je serai sourd à ta voix. — Je t’ai fait venir, reprit la jeune fille, car une douleur violente brise mon cœur.