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mélodieuse, dont il revêt sa pensée est éminemment faite pour charmer l’oreille athénienne, dont l’extrême délicatesse est restée proverbiale : en lisant ses vers, on serait parfois tenté de les croire écrits depuis deux mille ans, et c’est le plus bel éloge qu’on en puisse faire. En effet, la renaissance des Hellènes à ses débuts est, comme la renaissance des peuples latins, un retour vers le passé, et s’il faut en juger par ce qui s’est produit à l’occident de l’Europe à l’aurore des temps modernes, cette étude des anciens, souvent exclusive, est un point de départ nécessaire aux peuples destinés à une sérieuse régénération.

Il y a dans les poètes dont nous venons d’examiner les œuvres deux tendances opposées, deux courans contraires qui dominent le mouvement de renaissance littéraire commencé depuis quelques années en Grèce. Zalokostas subit encore dans sa forme et dans son style demi-barbares l’influence des siècles de décadence et de servitude que les Hellènes ont traversés. En revanche, sa pensée est tout empreinte du génie antique ; l’idée qui le domine est celle qui poursuivait les anciens poètes de la Hellade. Les héros qu’il chante, klephtes et soldats de l’indépendance, portent tous les signes d’une étroite parenté avec les héros de l’Iliade et de l’Odyssée, auxquels ils tiennent de si près par leur physionomie générale, leurs coutumes, leur manière de combattre et de célébrer leurs victoires, qu’il ne leur manque peut-être qu’un Homère pour les entourer du même prestige. C’est en restant fidèle au sentiment patriotique qui a présidé de tout temps aux destinées des Hellènes, et qui, par la façon merveilleuse dont il s’est perpétué parmi eux, a préparé de nos jours leur affranchissement, que Zalokostas a trouvé la force, l’originalité, la popularité. M. Orphanidis au contraire, sous une forme empreinte d’une pureté antique, tend, par un singulier contraste, à s’éloigner des vieilles traditions ; il s’efforce de donner un tour plus moderne à sa pensée ; il introduit quelques passions nouvelles dans l’action de son drame, et ses personnages ont quelque chose de moins exclusivement héroïque. Cette tendance à l’imitation des modernes que laissent entrevoir les poèmes de M. Orphanidis peut-elle exercer une heureuse influence sur le progrès des lettres grecques ? Un fait certain du moins ressort de cette étude : c’est à la vitalité et à la persistance du génie antique au sein de leur race que les Grecs doivent leur résurrection politique ; c’est à ce noble génie, dont Homère est l’éternelle et splendide personnification, qu’il leur faut demander avant tout leur renaissance intellectuelle.


E. YEMENIZ, consul de Grèce.