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ne tient point aux hésitations de la décrépitude : elle est la suite de l’étourdissement et du tumulte intérieur d’un peuple qui veut renaître à la vie, et que de grands événemens ont profondément ébranlé. Le voyage du roi Victor-Emmanuel dans les provinces qui se sont données à lui ne fournit matière à aucune appréciation politique intéressante : c’est une des fêtes prévues de la lune de miel des annexions. Ces fêtes ne sont point capables de distraire les observateurs des pensées sérieuses que fait naître la situation de l’Italie. De nombreuses réélections vont avoir lieu dans le royaume de la Haute-Italie ; on semble craindre qu’elles n’accroissent les forces des partis extrêmes dans le parlement. On va même jusqu’à appréhender que M. de Cavour ne puisse contenir les esprits ardens et impatiens qui veulent pousser dans le sud de la péninsule le mouvement qui a triomphé au nord. Naples et la Sicile attirent la révolution italienne. Nous déplorerions de voir l’énergie italienne, au lieu de se concentrer sur les résultats acquis pour les consolider, au lieu de compter sur l’influence morale qu’aurait la reconstitution sérieuse de la nationalité dans le royaume du nord, s’épuiser en efforts dangereux pour allumer des incendies qui pourraient tout remettre en question. Malgré une proclamation regrettée de ses amis de France, le général de Lamoricière protège le pape de son nom comme d’une barrière morale ; nous voudrions, comme on le fait espérer, que Pie IX ajoutât bientôt à la force que lui prête le général de Lamoricière celle qu’il retrouverait dans toute la chrétienté, en revenant, maintenant qu’il le peut avec une entière dignité et une complète indépendance, à l’esprit de réformation politique qui le rendit si populaire aux beaux débuts de son pontificat.

Cette triste échauffourée carliste, qui a un moment assombri les affaires de l’Espagne, vient de finir comme finissent toutes les échauffourées de ce genre, par quelques exécutions, toujours fatales, même quand elles sont trop justifiées, et en laissant de plus au gouvernement quelques-unes de ces difficultés attachées aux séditions où des princes se trouvent compromis de leur personne. Le déplorable héros de cette aventure du 1er avril n’a point tardé à expier sa tentative. Ortega a été pris, jugé par un conseil de guerre et fusillé à Tortosa. Il n’a point disputé sa vie, comme il l’a dit devant ses juges ; il n’a point cherché à se justifier et n’a pas accusé les autres. L’heure venue, il a marché à la mort avec un visage serein, avec une bonne grâce simple et noble, comme un soldat que le feu n’effraie pas. Il ne s’est plaint que de quelques amertumes peut-être inutiles qui ne lui ont pas été épargnées en ces derniers instans. Cet homme était criminel assurément ; sa trahison à l’intérieur, rapprochée de la guerre du Maroc, avait un caractère particulièrement coupable, qui a dû échapper à son esprit léger. La peine qu’il a subie était juste. Il ne faut pas s’y tromper cependant : quand Ortega a été bien abattu et jeté en face du supplice, il a intéressé à Madrid ; on ne s’est plus souvenu de celui qui avait débarqué sur la côte d’Espagne en messager de guerre civile, on n’a plus vu que