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affaires, les vues générales le dominaient : l’attention que d’autres voyageurs portaient sur les monumens, il l’appliquait aux institutions et à leur influence sur le bien-être des peuples. Le champ était vaste ; il s’attacha à l’explorer. Il parcourut la Turquie, l’Égypte, la Grèce, en étudiant le travail sous les diverses formes qu’il revêt selon les régimes, les climats, les races ; puis, par le Danube, il pénétra en Allemagne, où une marqueterie d’états faisait l’essai d’un régime commun en matière de douanes. La ligue des villes libres le frappa surtout, et si fortement que plus tard il leur emprunta ce mot de ligue comme un des secrets de leur force. Cette vieille hanse qui avait pour objet de mettre les richesses privées à l’abri des déprédations seigneuriales lui parut être d’un bon exemple pour les pays où l’extorsion était encore en honneur, quoique plus adoucie. Dans les deux cas, il s’agissait d’une rançon, imposée ici par la force, là par la loi. Ses allusions à ce sujet étaient fréquentes ; il insistait sur l’impression que lui avaient laissée, le long du Danube et du Rhin, ces vieux châteaux, repaires de violences jusqu’au jour où les marchands s’unirent pour les réduire et les démanteler. « J’ai vu ces ruines, s’écriait-il, elles attestent la puissance qui réside dans une défense commune. Les privilèges du sol, si l’on s’obstine à les maintenir, tomberont en poussière comme les créneaux et les tours de ces citadelles de l’exaction. »

Ces privilèges du sol avaient pour principal appui la législation des grains, qui frappait la consommation d’une taxe au profit des détenteurs de la terre. L’instrument était l’échelle mobile, dont le mécanisme bien connu aboutissait au maintien artificiel des prix. Au-dessous d’une certaine limite, portée d’abord à 80 shillings, puis descendue à 73, les grains étrangers rencontraient un droit qui était l’équivalent d’une prohibition ; ce droit était alors d’un shilling par quarter ; il s’élevait à chaque shilling de baisse dans les prix, de manière à arriver à 27 shillings quand le blé en valait 60. L’entrée libre ne se conciliait qu’avec des prix de disette. Le jeu de ce tarif n’avait rien d’équivoque ni pour ceux qui en profitaient ni pour ceux qui en souffraient ; c’était une haute paye ménagée aux propriétaires et aux fermiers, une garantie contre la réduction de leurs revenus. Ces avantages accordés à une classe correspondaient à des préjudices, à des souffrances infligés aux autres. La moindre intempérie suffisait pour porter le trouble dans l’approvisionnement, et aucun commerce régulier ne pouvait s’établir sous la menace de cette taxe variable. À diverses époques, on en avait éprouvé les tristes effets. En 1800 et 1801, le blé avait valu 110 et 115 shillings le quarter, 122 shillings en 1812, 106 shillings en 1813, 94 shillings en 1817, c’est-à-dire 43 francs en moyenne pour notre hectolitre. Avec la paix, cette situation ne pouvait qu’empirer