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d’entraîner la chambre du commerce, mais il vit, à ses résistances, qu’elle suivrait l’impulsion et ne la donnerait pas.

Un événement, insignifiant en apparence, vint en aide à ses projets. La récolte de 1838 avait été mauvaise, et des prix de 64 et de 70 shillings par quarter rendaient l’existence bien rude aux ouvriers nécessiteux. Parmi les localités frappées, aucune ne l’était plus que Bolton, située aux portes de Manchester ; dans une admirable étude sur sir Robert Peel[1], M. Guizot a fait de ses souffrances un tableau navrant. Tant de misères, et des misères si apparentes, devaient trouver des voix pour les signaler à la pitié publique. Un vieux docteur, M. Birnie, fit annoncer qu’il ferait le soir, dans la salle de spectacle de Bolton, une lecture sur la loi des grains et ses effets. La foule accourut et montra de telles dispositions à l’enthousiasme que l’orateur en fut troublé. Il hésita, balbutia, brouilla ses papiers, et finit par comprendre qu’il s’était chargé d’une tâche au-dessus de ses forces. Au milieu de ce désarroi, un jeune homme s’élança sur l’estrade. C’était un étudiant en médecine, M. Paulton : « Je ne vous demande que quelques minutes, dit-il. — Allez, allez, » s’écria-t-on de toutes parts. Il ne prit que vingt minutes en effet, mais ces minutes furent bien replies. La chaleur de l’accent, la passion poussée jusqu’à l’invective transportèrent ce public. On l’applaudit à outrance, et on ne le tint quitte qu’après s’être mis d’accord avec lui pour l’entendre une seconde fois.

Justement le docteur Bowring venait d’arriver à Manchester, où le succès de M. Paulton faisait événement. Le docteur représentait Bolton au parlement, et il ne pouvait être indifférent à ce qui s’y passait. Aimant, comme dit M. Guizot, à faire du bien en faisant du bruit, il trouvait là une occasion à son goût ; il la saisit. Un banquet par souscription eut lieu à l’hôtel d’York, et la loi des grains fut le texte des discours qui s’y échangèrent. Celui de M. Bowring fut très vif ; il arrivait d’Orient, où il avait rencontré, disait-il, la famine en permanence, et à son retour il avait la douloureuse surprise de voir que l’Angleterre n’y échappait point. À quoi cela tenait-il ? À l’oubli des notions de l’échange, si influent sur le bien-être des peuples. Après lui, d’autres orateurs revinrent sur ce sujet et en des tendues plus véhémens ; puis on passa aux santés d’usage : celle de M. Paulton ne fut point oubliée. L’élan était donné, il devint irrésistible. Vers la fin de septembre, l’association était constituée ; les arrangement préliminaires comprenaient l’objet, le nom de l’association (anti-corn-law), la cotisation, fixée à 5 shillings pour la tenir à la portée des moindres bourses. Sept personnes seulement assistaient à la pre-

  1. Revue des Deux Mondes du 15 mai, 1er juillet, 1er août et 1er septembre 1856.