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en montrant les pierres noires, n’en a pas fait plus que moi, à l’heure qu’il est, elle prie pour nous dans le paradis.

Le Muscadin secoua la tête et garda le silence. — Au lieu de me quereller, reprit la vieille femme, tu ferais mieux de porter mon faix jusqu’à la maison. Il fait noir, et je pourrais trébucher.

J’intervins alors. — Nous allions chez vous, dis-je à la Chouric, nous allions vous inviter à la noce.

— Alors, dit-elle, vous me ferez l’honneur d’accepter le vin des donzelons.

Nous arrivâmes à la cabane que vous connaissez. Elle n’était pas délabrée alors ; l’intérieur était en bon état. La petite vieille, alerte et propre, alluma une chandelle de résine, rinça trois verres qu’elle nous présenta dans une assiette de faïence à fleurs, et nous bûmes à la santé de la maîtresse de la maison. Toutefois le Muscadin ne chanta pas. — Mère, dit-il en s’en allant, est-ce que vous irez à la noce ?

— Et pourquoi n’irais-je pas ? dit sur son ton le plus aigre l’irascible Chouric. Ne suis-je pas leur parente et leur voisine ? Ont-ils à rougir de moi ? Veulent-ils économiser le pain et la viande ? Ont-ils peur que mon cotillon et ma coiffe ne leur fassent honte ? M’ont-ils invitée pour me faire un affront ?

J’essayai de la calmer ; cela fut facile. — Oui, oui, dit-elle en riant, je vois ce que c’est. Ce grand fou a peur de moi. Il craint que je ne charme le nobi. Il me croit sorcière… Ah ! mon pauvre enfant ! il y a longtemps que je ne le suis plus. Je n’ai jamais su charmer qu’un seul homme, et c’était ton père… Oui, continua la Chouric, j’irai. La Capinette a toujours été bonne avec moi, je veux danser à sa noce. Je veux voir Marthe et lui parler, car tu es un grand niais, et, sans t’en douter, tu es bien plus sorcier que moi.

Nous revînmes le soir même chez Noguès, et pendant quelques jours nous continuâmes cette vie sans qu’il se produisît de nouveaux incidens. C’était toujours la même histoire, des coups de fouet aux chiens, des coups de pistolet aux portes, des rasades à plein verre, des chants à plein gosier.

J’accomplis consciencieusement toutes mes fonctions de donzelon. Le dimanche qui précéda la noce, j’assistai à la fête de la volaille, ce qui est une façon de parler, car la volaille n’a aucune raison de se réjouir, puisque c’est ce jour-là qu’on la plume. Donzelles et donzelons travaillaient, chantaient, se querellaient, échangeaient des insultes bouffonnes, et puis il fallut danser. Ma grandeur me retenait au rivage. Je pensais dès lors à embrasser l’état ecclésiastique, et je ne voulais pas que mon exemple pût fournir plus tard à mes paroissiens une arme contre moi. Cependant j’enviai le Muscadin