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le dire ? Qui l’a vu ? Votre oncle a-t-il bien regardé lorsqu’il a dit la messe ? Peut-être y avait-il une cantharide sous la nappe de l’autel. Le fossoyeur a-t-il compté les os du cimetière ? Peut-être lui en a-t-on volé un. Ne sais-je pas les réduire en poudre ? N’avez-vous pas vu un peu de poussière blanche sur le bel habillement de Marthe ? La Chouric sait son métier…

— Misérable ! m’écriai-je.

Nous étions sur le bord de la digue du grand étang ; je la saisis avec rage, je l’enlevai et je la balançai au-dessus de l’eau.

— A moi, Satan ! s’écria-t-elle, à moi, mon chien blanc !

Le chien s’élança sur moi et mordit mon habit auprès du collet. Je laissai aller la sorcière, et par un effort brusque et violent je fis lâcher prise au chien. La Chouric profita de ce moment pour s’enfuir ; le chien me regardait toujours en grondant. La sorcière, quand elle fut à une certaine distance, le siffla, et il la suivit.

Je revins au presbytère. La nuit approchait de sa fin. Le lendemain, toute la noce devait assister à la messe d’actions de grâces. J’aurais- voulu me dispenser de prendre part à cette cérémonie, j’avais résolu de ne plus revoir Marthe ; mais mon oncle vint me chercher lui-même : il voulut que je lui servisse la messe, et j’eus le crève-cœur de voir arriver la cavalcade, au milieu de laquelle caracolait le Muscadin avec Marthe en croupe. À peine la messe fut-elle dite que je quittai l’église et courus me réfugier dans le presbytère. Caché derrière un volet, j’entendais le piétinement des chevaux et le rire des gens de la noce. La mariée demanda où j’étais. J’étais à deux pas d’elle, la tête dans mes deux mains, ne pouvant contenir mes larmes ni mes sanglots. Tout à coup mon oncle entra, accompagné de Marthe. Celle-ci avait les yeux baissés, et ne s’aperçut pas de mon désordre extrême ; mais je ne pus le dissimuler aux yeux de mon oncle, qui secoua la tête. À mon grand étonnement, mon oncle fit entrer Marthe dans notre ancien cabinet de travail. Ils y restèrent assez longtemps. Lorsqu’elle sortit, son visage était radieux, elle me salua en souriant ; mais son regard n’était pas pour moi. Le Muscadin, plus beau et plus pomponné que jamais, l’aida à monter derrière lui.

— Marthe épouse le Muscadin, dit mon oncle en me regardant.

Je me tus, mais le soir je demandai l’autorisation de revenir au séminaire. Il me déclara que je resterais auprès de lui jusqu’après la pêche des étangs. — Il faut savoir se vaincre, dit-il. Tu éviteras Marthe, si bon te semble ; mais tu resteras auprès de moi.

L’Armagnac est un pays de cocagne. On en avait à peine fini avec les joies du carnaval que les grandes pêches commencèrent. C’étaient de nouvelles fêtes. À cette époque surtout, le pays était couvert de grands étangs qui pendant le carême fournissaient du