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cette justice à Noguès : il n’hésita pas ; il compta jusqu’à cent, se signa rapidement, ajusta et fit feu. Nous entendîmes d’abord un hurlement plaintif, et presque en même temps une autre détonation ; mais comme le grand étang avait plusieurs échos, nous ne fîmes pas attention au bruit de cet autre coup de feu.

Dans un taillis aussi fourré que celui où nous nous trouvions, la fumée s’élève lentement. Quand elle eut disparu, la clairière était vide ; mais il nous sembla apercevoir à travers les arbres la forme blanche qui s’enfuyait, et par intervalles le même cri plaintif se faisait entendre. Personne n’osa poursuivre la sorcière. Ce fut même avec une certaine anxiété que nous attendîmes le retour du maquignon. Il revint enfin, il était très essoufflé. — C’était bien la Chouric, dit-il ; vous lui avez donné une leçon, je l’ai vue passer sur trois pattes, elle se dirige du côté de sa maison.

— Pourquoi ne l’avez-vous pas achevée ? dirent les autres.

— Messieurs, répondit-il, je n’ai pas osé l’attaquer, n’ayant que cette fourche et rien de bénit sur moi.

Il fut décidé que notre chasse en resterait là. Cependant, avant de partir, j’allai auprès du gros chêne, au pied duquel nous avions aperçu la forme blanche, et je trouvai un quartier d’agneau à moitié rongé. Me rappelant ce que m’avait souvent dit mon oncle au sujet du maquignon, je commençai à douter du sortilège, et pensai que le chien blanc pourrait bien être celui que j’avais rencontré avec la Chouric la nuit de la noce. Aussi, refusant le souper que m’offrait Noguès, je quittai la bande armée et me dirigeai rapidement vers le presbytère, où, comme vous le pensez bien, je ne me vantai pas de mon expédition.

Le lendemain matin, mon oncle entra de bonne heure dans ma chambre ; il était fort irrité. — Il vient de se commettre un assassinat, me dit-il ; viens avec moi chez Noguès : il faut que je lave la tête à cette bande de fous. La pauvre Chouric est bien malade : on lui a tiré un coup de feu hier au soir. Si j’étais arrivé une heure plus tard, l’hémorragie l’emportait. Je ne sais si elle pourra jamais se servir de sa jambe.

Cette nouvelle me rendit toute ma crédulité. Que ce fût sur un loup ou sur un chien, c’était certainement sur un animal et non sur une femme que Noguès avait tiré. Il l’avait blessé à la jambe, et la Chouric était précisément blessée à la jambe d’un coup de feu. Les choses ne se passaient pas autrement dans les légendes que les pâtres ont coutume de se raconter. Il y a toujours un grand sorcier qui se déguise en loup blanc, on lui tire un coup de fusil, et le lendemain les parens du sorcier le font enterrer sans permettre qu’on visite son corps, parce qu’il est criblé de grains de plomb.

Nous arrivâmes chez Noguès. On savait déjà que la Chouric était