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tout, reprit Va-sans-Peur. Il faut bien que tu ne saches pas… Mais voilà la Lise qui vient aussi à ta rencontre, et qui saura ce que tu as dans la tête ; c’est peut-être des affaires qui ne me regardent pas, je vous laisse causer ensemble.

Lise arrivait en effet avec ses trois enfans, car il y en avait un troisième, encore plus beau que les deux premiers. Rosette avait grandi de toute la tête ; elle était toujours propre comme du temps où Tonine peignait ses cheveux blonds et plissait sa collerette blanche. Lise elle-même avait une mise assez soignée et semblait avoir rajeuni.

— Allons ! lui dit le voyageur en l’embrassant, de votre côté au moins tout va bien, et c’est une consolation pour moi ! Cela me fait aussi espérer que je vais trouver Tonine…

— Tonine va mieux depuis qu’elle espère ton retour. Elle est même assez forte pour avoir essayé de sortir aujourd’hui dans une carriole qu’on lui a prêtée. Tu ne la verras que dans une ou deux heures.

— Comment ? elle a été se promener, et elle n’a pas pris la route par laquelle je devais venir ?

— Et qui savait par quelle route tu reviendrais ? Et puis, à force de t’attendre, on ne savait plus que penser ! Enfin tu ne la trouveras pas chez elle tout de suite, et nous pouvons causer un peu ici, car je t’avoue que je suis lasse de porter ce gros marmot dans la montagne.

Et Lise s’assit sur l’herbe avec son enfant sur ses genoux.

— Vous m’inquiétez beaucoup, Lise, reprit Sept-Épées. Tonine est plus malade ou terriblement changée, et vous voulez me préparer à la voir.

— Si Tonine était plus malade, tu ne me verrais pas ici, reprit Lise. Quant à être bien changée,… si cela était, mon cher ami, si elle était enlaidie, si elle avait perdu ses beaux cheveux, si elle était vieille avant l’âge et un peu infirme, qu’est-ce que tu en dirais, voyons ?



XIV.


Sept-Épées n’avait pas encore songé à l’éventualité que Lise lui mettait sous les yeux. Il devint pâle, mais sa volonté ne faiblit pas.

— Lise, répondit-il, je ne vous cacherai pas que jusqu’à ce jour, quelque chose que j’aie pu tenter pour m’en distraire, j’ai été amoureux de Tonine, oui, amoureux comme un fou par momens, et dans d’autres momens amoureux avec toute ma raison, car je me rappelais sa bonté et son esprit, que je ne pouvais retrouver dans aucune