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les entretiens ressemblent à des assauts ; vous croiriez voir des artistes qui s’escriment de mots et de gestes dans une salle d’armes. Ils bouffonnent, ils chantent, ils songent tout haut, ils éclatent en rires, en calembours, en paroles de poissarde et de poète, en bizarreries recherchées ; ils ont le goût des choses saugrenues, éclatantes ; tel danse en parlant ; volontiers ils marcheraient sur leurs mains ; il n’y a pas un grain de calcul et il y a plus de trois grains de folie dans leurs têtes. Ici les gens sont posés ; ils dissertent ou disputent ; le raisonnement est le fond de leur style ; ils sont écrivains si bien qu’ils le sont trop, et qu’on voit à travers eux l’auteur occupé à combiner des phrases. Ils arrangent des portraits, ils redoublent des comparaisons ingénieuses, ils balancent des périodes symétriques. Tel personnage débite une satire, tel autre compose un petit essai de morale. On tirerait des comédies du temps un volume de sentences ; elles sont pleines de morceaux littéraires qui annoncent déjà le Spectator. Ils recherchent l’expression adroite et heureuse, ils habillent les choses hasardées avec des mots convenables, ils glissent prestement sur la glace fragile des bienséances et la rayent sans la briser. Je vois des gentilshommes, assis sur des fauteuils dorés, fort calmes d’esprit, fort étudiés dans leurs paroles, observateurs froids, sceptiques diserts, experts en matière de façons, amateurs d’élégance, curieux du beau langage autant par vanité que par goût, et qui, occupés à discourir entre un compliment et une révérence, n’oublieront pas plus leur bon style que leurs gants fins ou leur chapeau.

Ce sont là les mœurs oratoires et polies qui peu à peu, à travers l’orgie, percent et prennent l’ascendant. Insensiblement le courant se nettoie et marque sa voie, comme il arrive à un fleuve qui, entrant violemment dans un nouveau lit, clapote d’abord dans une tempête de bourbe, puis pousse en avant ses eaux encore fangeuses, qui par degrés vont s’épurer. Ces débauchés tâchent d’être gens du monde, y réussissent parfois. Wycherley écrit bien, très clairement, sans la moindre trace d’euphémisme, presque à la française. Son Dapperwitt dit de Lucy, en périodes balancées : « Elle est belle sans affectation, folâtre sans grossièreté, amoureuse sans impertinence. » Au besoin Wycherley est ingénieux, ses gentlemen échangent des comparaisons heureuses. « Les maîtresses, dit l’un, sont comme les livres : si vous vous y appliquez trop, ils vous alourdissent, et vous rendent impropre au monde ; mais si vous en usez avec discrétion, vous n’en êtes que plus propre à la conversation. — Oui, dit un autre, une maîtresse devrait être comme une petite retraite à la campagne, près de la ville, non pour y demeurer constamment, mais pour y passer la nuit de temps en temps. Et vite dehors, afin