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de mieux goûter la ville au retour ! » Ces gens font du style, et même à contre-temps, en dépit de la situation ou de la condition des personnages. Un cordonnier dit dans Etheredge : « Il n’y a personne dans la ville qui vive plus en gentilhomme que moi avec sa femme. Je ne m’inquiète jamais de ses sorties, elle ne s’informe jamais des miennes ; nous nous parlons civilement et nous nous haïssons cordialement. » L’art est parfait dans ce petit discours : tout y est, jusqu’à l’antithèse symétrique de mots, d’idées et de sons ; quel beau diseur que ce cordonnier satirique ! — Après la satire, le madrigal. Tel personnage, au beau milieu du dialogue et en pleine prose, décrit « de jolies lèvres boudeuses avec une petite moiteur qui s’y pose, pareilles à une rose de Provins fraîche sur la branche, avant que le soleil du matin en ait séché toute la rosée. » Ne voilà-t-il pas les gracieuses galanteries de la cour ? Rochester lui-même parfois en rencontre. Deux ou trois de ses chansons sont encore dans les recueils expurgés à l’usage des jeunes filles pudiques. Ils ont beau polissonner de fait, à chaque instant il faut qu’ils complimentent et saluent ; devant les femmes qu’ils veulent séduire, ils sont bien obligés de roucouler des tendresses et des fadeurs ; s’ils n’ont plus qu’un frein, l’obligation de paraître bien élevés, ce frein les retient encore. Rochester est correct même au milieu de ses immondices ; il ne dit d’ordures que dans le style habile et solide de Boileau. Tous ces viveurs veulent être gens d’esprit et du monde. Sir Charles Sedley se ruine et se salit, mais Charles II l’appelle « le vice-roi d’Apollon, » Buckingham exalte « la magie de son style. » Il est le plus charmant, le plus recherché des causeurs ; il fait des mots, et aussi des vers, toujours agréables, quelquefois délicats ; il manie avec dextérité le joli jargon mythologique ; il insinue en légères chansons coulantes toutes ces douceurs un peu apprêtées qui sont comme les friandises des salons. « Ma passion, dit-il à Chloris, croissait avec votre beauté, et l’Amour à mon cœur, pendant que sa mère vous favorisait, lançait un nouveau dard de flamme. » Puis il ajoute en manière de chute : « Ils employaient tout leur art amoureux, lui pour faire un amant, elle pour faire une beauté. »

Il n’y a point du tout d’amour dans ces gentillesses ; on les accepte comme on les offre, — avec un sourire ; elles font partie du langage obligé, des petits soins que les cavaliers rendent aux dames : j’imagine qu’on les envoyait le matin avec le bouquet ou la boîte de cédrats confits. Roscommon compose une pièce sur un petit chien mort, sur le rhume d’une jeune fille ; ce méchant rhume l’empêche de chanter : maudit hiver ! Et là-dessus il prend l’hiver à partie, l’apostrophe longuement. Vous reconnaissez les amusemens