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vers. » Une dame lui fait cadeau d’une plume d’argent, vite un remerciement rimé ; une autre peut dormir à volonté, vite un couplet enjoué ; un faux bruit se répand qu’elle vient de se faire peindre, vite des stances sur cette grosse affaire. Un peu plus loin, il y aura des vers à la comtesse de Carlisle sur sa chambre, des condoléances à lord Northumberland sur la mort de sa femme, un joli mot sur une dame qui a été pressée dans la foule, une réponse, couplet pour couplet, à des vers de sir John Suckling. Il prend au vol les frivolités, les nouvelles, les bienséances, et la poésie n’est qu’une conversation écrite, j’entends la conversation qu’on fait au bal, quand on parle pour parler, en relevant une boucle de perruque ou en tortillant un gant glacé. La galanterie, comme il convient, en a la plus grande part, et on se doute bien que l’amour n’y est pas trop sincère. Au fond, Waller soupire avec réflexion (Sacharissa avait une belle dot), à tout le moins par convenance ; ce qu’il y a de plus visible dans ses poèmes tendres, c’est qu’il souhaite écrire coulamment et bien rimer. Il est affecté, il exagère, il fait de l’esprit, il est auteur. Il s’adresse à la suivante, « sa compagne de servage, » n’osant s’adresser à Sacharissa elle-même. « Ainsi, dans les nations qui adorent le soleil, un Persan modeste, un Maure aux yeux affaiblis n’ose point élever ses regards éblouis au-delà du nuage doré qui, sous la lumière du dieu triomphant, orne le ciel oriental, et honoré de ses rayons, dépasse en splendeur tout le reste. » Bonne comparaison ! Voilà une révérence bien faite : j’espère que Sacharissa répond par une révérence aussi correcte. Ses désespoirs sont du même goût ; il perce de ses cris les allées de Penshurst, « raconte sa flamme aux hêtres, » et les hêtres bien appris « inclinent leurs têtes par compassion. » Il est probable que dans ces promenades douloureuses son plus grand soin était de ne pas mouiller ses souliers à talons. Ces transports d’amour amènent les machines classiques, Apollon, les Muses ; Apollon est fâché qu’on maltraite un de ses serviteurs, lui dit de s’en aller, et il s’en va en effet, disant à Sacharissa qu’elle est plus dure qu’un chêne, et que certainement elle est née d’un rocher.

Ce qu’il y a de bien réel en tout cela, c’est la sensualité, non pas ardente, mais leste et gaie ; il y a telle pièce sur une chute qu’un abbé de cour sous Louis XV eût pu écrire : « Ne rougissez pas, belle, ne prenez pas l’air sévère ; que pouvait faire l’amant, hélas ! sinon fléchir quand tout son ciel sur lui s’appuyait ? Son tort unique, s’il en eut un, fut de vous laisser vous relever trop tôt. » D’autres mots se sentent de l’entourage et ne sont point assez polis. « Amoret, s’écrie-t-il, vous aussi douce, aussi bonne que le mets le plus délicieux, qui, à peine goûté, verse dans le cœur la vie et la joie… » Je ne serais pas satisfait, si j’étais femme, d’être comparée à un