Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beefsteak, même appétissant ; je n’aimerais pas davantage à me voir, comme Sacharissa, mise au niveau du bon vin qui porte à la tête : c’est trop d’honneur pour le porto et pour la viande. Le fond anglais perçait ici et ailleurs ; par exemple, la belle Sacharissa, qui n’était plus belle, ayant demandé à Waller s’il ferait encore des vers pour elle : « Oui, madame, répondit-il, quand vous serez aussi jeune et aussi belle qu’autrefois. » Voilà de quoi scandaliser un Français. Néanmoins Waller est d’ordinaire aimable ; une sorte de lumière riante flotte comme une gaze autour de ses vers ; il est toujours élégant, souvent gracieux. Cette grâce est comme le parfum qui s’exhale du monde ; les fraîches toilettes, les salons parés, l’abondance et la recherche de toutes les commodités délicates mettent dans l’âme une sorte de douceur qui se répand au dehors en complaisances et en sourires ; Waller en a, et des plus caressans, à propos d’un bouton, d’une ceinture, d’une rose. Ces sortes de bouquets conviennent à sa main et à son art. Il y a une galanterie exquise dans ses stances à la petite lady Lucy Sidney sur son âge. Et quoi de plus attrayant pour un homme de salon que ce frais bouton de jeunesse encore fermé, mais qui déjà rougit et va s’ouvrir ? « Pourtant, charmante fleur, ne dédaignez pas cet âge que vous allez connaître si tôt ; le matin rose laisse sa lumière se perdre dans l’éclat plus riche du midi. » Tous ses vers coulent avec une harmonie, une limpidité, une aisance continues, sans que jamais la voix s’élève, ou détonne, ou éclate, ou manque au juste accent, sinon par l’affectation mondaine qui altère uniformément tous les tons pour les assouplir. Sa poésie ressemble à une de ces jolies femmes maniérées, attifées, occupées à pencher la tête, à murmurer d’une voix flûtée des choses communes qu’elles ne pensent guère, agréables pourtant dans leur parure trop enrubannée, et qui plairaient tout à fait si elles ne songeaient pas à plaire toujours.

Ce n’est pas qu’ils ne puissent toucher les sujets graves ; mais ils les touchent à leur façon, sans sérieux ni profondeur. Ce qui manque le plus à l’homme de cour, c’est l’émotion vraie de l’idée inventée et personnelle. Ce qui intéresse le plus l’homme de cour, c’est la justesse de la décoration et la perfection de l’apparence extérieure. Ils s’attachent médiocrement au fond, et beaucoup à la forme. En effet, c’est la forme qu’ils prennent pour sujet dans presque toutes leurs poésies sérieuses ; ils sont critiques, ils posent des préceptes, ils font des arts poétiques. Denham, puis Roscommon, dans un poème complet, enseignent l’art de bien traduire les vers. Le duc de Buckingham versifie un Essai sur la poésie et un Essai sur la satire. Dryden est au premier rang parmi ces pédagogues. Comme Dryden encore, ils se font traducteurs, amplificateurs. Roscommon traduit l’Art poétique d’Horace, Waller le premier