Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le dessert de ce maigre banquet dramatique. En dehors de ces trois pièces, sur lesquelles nous avons depuis longtemps exprimé notre opinion, que pouvons-nous recommander à nos lecteurs ? Rien en vérité, si ce n’est quelques candidatures dramatiques. Nous employons ce mot faute d’un autre pour désigner les ambitions nouvelles que le théâtre fait naître encore malgré son abaissement. Le théâtre en effet, c’est l’Eldorado rêvé de la plupart des jeunes gens qui sont lancés dans la carrière littéraire, de tous ceux qui désirent la gloire immédiate plutôt que la gloire durable, qui préfèrent le succès éclatant, visible, dont on ne peut douter, à ce succès anonyme, invisible, dont on n’est jamais sûr, qui est la récompense habituelle des autres œuvres de l’esprit. La fortune d’un livre est bien différente de celle d’une pièce de théâtre : elle est obscure, lente, pénible. Le livre gagne un à un ses lecteurs et ses partisans. L’écrivain ne connaît pas ses lecteurs, et peut au besoin douter de leur existence. Il ne triomphe pas des larmes qu’il fait répandre et des éclats de rire qu’il soulève. Combien différent est le sort d’un auteur dramatique ! Il voit ses spectateurs, il les compte, il entend leurs applaudissemens. Il sait, à n’en pouvoir douter, puisqu’il contemple de ses propres yeux ce phénomène agréable pour sa vanité, que plusieurs centaines d’honnêtes personnes de toute condition ont quitté leurs foyers et se sont dérangées de leurs affaires ou de leurs plaisirs tout exprès pour venir l’entendre. Une chute au théâtre est, à tout prendre, un succès relatif, car l’œuvre condamnée aura été au moins représentée une fois, et l’auteur est sûr par conséquent d’avoir été entendu avant d’être jugé. Même en échouant, il a en partie atteint son but, qui était de graver son nom dans la mémoire du public. Ajoutez, en cas de succès, un irrésistible attrait, — celui des avantages pécuniaires, car le théâtre est le seul de tous les genres littéraires qui rende au travail de l’auteur une importante rémunération. Une pièce médiocre et banale, pourvu qu’elle obtienne la vogue, peut suffire à elle seule à donner à un jeune écrivain ce que ne lui donneraient peut-être pas dix chefs-d’œuvre poétiques ou romanesques, c’est-à-dire l’aisance. Un succès au théâtre, même dans des conditions déplaisantes et anti-littéraires, un succès de mélodramaturge ou de faiseur, n’a rien qui effraie l’imagination des jeunes écrivains et des jeunes poètes, car ce succès sans gloire représente au moins pour eux l’indépendance rêvée. Il ne faut donc pas trop s’étonner si le nombre des aspirans à la carrière dramatique se maintient, si même il augmente, en dépit de l’abaissement du théâtre et des difficultés que les exigences de la politique et l’institution de la censure imposent à l’imagination des auteurs. À défaut d’auteurs nouveaux, les candidats dramatiques sont là, qui fournissent au théâtre les denrées nécessaires pour