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« Et aujourd’hui que tu te souviens de tout, garde à jamais le trésor de la science, car la vie t’a appris déjà beaucoup de choses que ne savent point ceux qui n’ont pas souffert, une grande chose entre toutes : c’est que le bonheur n’est pas dans le triomphe de la volonté isolée, mais dans l’accord des volontés conquises au bien ; une plus grande chose encore : c’est que l’amour enseigne encore mieux que la raison, et que toute science vient de lui. Cela, ne l’oublie jamais ; de cela surtout, souviens-toi !


CHŒUR.

« Et maintenant, criez, rouages terribles ; maintenant, chante et bondis, folle rivière ! Fers et feux, enclumes et marteaux, voix du travail, commandez la danse ! Vous ne couvrirez pas les voix de l’amour. C’est aujourd’hui la fête d’hyménée. »

L’usine, remise en mouvement, fit sa partie, aux grands applaudissemens de l’auditoire ; puis, quand le chanteur eut profité de ce moment de repos, tout se tut de nouveau pour écouter le chant de l’épousée. Le chœur reprit :

« Toi, maintenant, belle épousée, fille des entrailles de la Ville-Noire ! Reçois la bénédiction de l’amitié ; c’est encore celle de Dieu pour ton amour. »

Puis le bon Saverio chanta le récitatif :

« Écoute, par la voix de l’ami étranger, la parole amie de la vieillesse. La vieillesse juge et récompense ; elle a derrière elle le cortège des longs jours d’espérance et de douleur, de plaisir et de peine ; cette parole te dit : Souviens-toi !


STROPHES.

« Toi qui fus bénie en naissant, Tonine aux blanches mains, souviens-toi du premier jour où ta mère te mena dans la montagne ; ta mère me l’a raconté : tu vis une fleur qui riait au soleil, et tu courus la cueillir. C’était pour toi la fleur des fleurs, la merveille de la terre, c’était la première chose dont tu comprenais la beauté ! Ta sœur, plus grande que toi, la voulut, et toi, au lieu de pleurer, tu souris en la lui donnant. C’était la première fois que tu sentais le plaisir de donner, plus grand pour toi que tous les autres plaisirs ; souviens-toi !

« Toi qui fus bénie en grandissant, Tonine aux mains diligentes, souviens-toi du premier jour où tu entras dans l’atelier pour gagner ta pauvre vie d’enfant. Tu étais orpheline, et tu ne riais point. — Quelle est, disait le maître, — c’est lui qui me l’a conté, — cette pâle fillette qui ne gâte rien, qui est habile dès le premier jour, et qui, au travail, ne semble pas connaître le dégoût ou la peine ? — Il lui fut répondu : C’est celle qui travaille pour deux, parce que sa