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ne rangeait pas la chasse parmi les amusemens frivoles ou dangereux. « C’était, disait-il, une image de la guerre, une vie d’action qui préservait l’âme des vaines langueurs du siècle et des dangereux raisonnemens des sophistes. » Aussi reprenait-il une espèce de gaieté quand, la trompe aux lèvres, il suivait à travers les champs et les bois quelque malheureux lièvre, et qu’il avait la satisfaction de le voir déchirer vivant, après de terribles angoisses, par la meute hideuse de ses chiens affamés ; mais si les piqueurs faisaient quelque faute, si les chiens s’acquittaient mal de leur besogne, si un paysan avait regardé d’un air étonné ou narquois ce fier gentilhomme guerroyant contre les lièvres, il grondait ses gens, fouettait ses chiens avec fureur, et revenait en maugréant contre le « radicalisme insolent des villageois. »

Norbert, qui se croyait obligé d’aimer la chasse autant que son compatriote saint Hubert, fut bien reçu au château du baron, où il arriva deux ans après le commencement de la réaction provoquée par la grand’mère de Ghislaine. La chasse l’absorba d’abord tout entier, mais la chasse ne durait pas toujours : il fallait laisser reposer les chiens ; le baron d’ailleurs s’occupait assez d’agriculture pour n’avoir pas toute sa liberté. Norbert n’avait alors d’autre ressource que de causer avec sa cousine en se promenant avec elle autour des massifs de fleurs dispersés parmi les gazons du parc sous les fenêtres du salon. Ghislaine y cueillait des roses de Noël, pâle ornement des derniers jours de l’année, dont le charme mélancolique semblait sourire à son imagination. Elle avait dix-huit ans, elle était devenue une très belle personne, et sa beauté n’était pas trop flamande. Elle était plus blanche que ces lis dont l’Évangile loue la splendeur, elle était grande, et sa taille était ravissante. Quoique ses traits manquassent d’expression, son nez d’une forme parfaite, son front élevé, encadré de cheveux châtains, ses yeux aussi doux que ceux des colombes, donnaient à sa physionomie un remarquable cachet de noblesse et d’élégance. Quand elle s’animait, ce qui était rare, une teinte pareille à la nuance délicate des roses du Bengale colorait momentanément ses joues. Rien en elle ne rappelait les épaisses et blondes nymphes de Rubens, masses de chair et de sang, nourries de lait et de beurre dans les plaines plantureuses de la Belgique, et que le grand artiste a transportées dans un monde où l’humanité avait les formes idéales d’une poétique adolescence. Ghislaine possédait toutes les séductions de sa race sans en avoir les défauts ; elle était surtout faite pour plaire à une âme naïve, sans aucune expérience de la vie, toute pleine encore d’illusions virgiliennes, et qui se figurait que la première femme qu’il devait aimer serait

Candidior cycnis, hedera formosior alba.