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des personnages principaux plus poétique, le visage de Marie plus majestueux et plus sublime, l’effet de l’œuvre entière plus sérieux et plus saisissant. Encore ici, ce n’est pas seulement comme mère que Marie est représentée, mais comme personnage divin, écoutant les prières des hommes et intercédant pour eux. L’ange Raphaël lui présente le jeune Tobie, qui lui apporte un poisson comme offrande et lui demande la guérison de son père. La prière du jeune homme est exaucée, car le Christ étend vers lui sa main droite, soit pour le bénir, soit, comme il le semble à l’effort qu’il fait pour échapper à sa mère qui le retient, pour recevoir son présent.

La Sainte Cécile de la pinacothèque de Bologne fut commandée à Raphaël par le cardinal de Pucci pour l’église de San-Giovanni-in-Monte de cette ville. Commencée en 1513, elle ne fut pas terminée avant 1515, et c’est vers cette époque que le Sanzio l’envoya à son vieil ami Francia en le chargeant de veiller au déballage de son tableau, et, « dans le cas où il lui serait arrivé quelque accident, de le réparer, ainsi que de le corriger, s’il y découvrait quelque défaut[1]. » Cette composition est une des plus poétiques, des plus élevées et on peut dire des plus religieuses que Raphaël ait imaginées. La sainte, debout au milieu du tableau, est entourée de saint Paul et de Marie-Madeleine, de saint Jean l’évangéliste et de saint Augustin. La tête vers le ciel, elle laisse tomber sa harpe en entendant les cantiques des bienheureux, qui répondent à ses chants. Je ne crois pas que l’ivresse de l’extase ait jamais été représentée avec tant de force et dans des conditions si complètes de beauté pittoresque. Sainte Cécile n’est presque plus sur la terre ; son âme s’élance hors d’elle pour se mêler aux chœurs des esprits glorifiés, et il semble qu’un souffle suffirait pour l’emporter vers la céleste patrie. Le rêve qu’elle faisait dans ses mystiques ardeurs se réalise. Elle entend, elle voit de ses yeux ces êtres mystérieux que sa pieuse et poétique imagination lui montrait dans les profondeurs de l’infini. Elle est sur les confins des deux mondes, et c’est ainsi que l’on se représente saint Augustin et sa mère assis sur le rivage d’Ostie, plongeant leurs regards dans le ciel entr’ouvert, et s’entretenant des choses éternelles.

  1. Vasari, t. VI, p. 12. — On sait que Vasari raconte que Francia mourut de jalousie et de dépit en voyant cette peinture. Cette anecdote est tout à fait invraisemblable, non pas que le peintre bolonais ait vécu, — comme Malvasia, prenant le fils pour le père, le pense, — jusqu’en 1520 ou 22 ; il est bien réellement mort le 15 janvier 1518 ; mais outre que les sentimens d’amitié qui existaient entre Francia et Raphaël excluent une pareille jalousie, il est certain que la Sainte Cécile n’est pas le premier tableau de Raphaël qu’ait vu Francia, ainsi que le dit Vasari, puisque l’un des plus admirables chefs-d’œuvre de son ami, la Vision d’Ezéchiel, était à Bologne dans la Casa Hercolani dès l’année 1510. Malvasia, Felsina Pitrice.