Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/751

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tient dans cette affaire d’Italie, et il est impossible de voir encore le bout de la chaîne. L’attention se porte avant tout sur l’Italie, parce que là l’action est commencée et que la fatalité est en train ; mais l’opinion a le sentiment vif, quoique confus, des contre-coups que les événemens italiens doivent naturellement donner au reste de l’Europe. La logique de l’histoire l’avertit qu’il est impossible que ces événemens ne s’emparent pas fortement partout des imaginations populaires, qu’il est impossible qu’au spectacle d’un peuple qui va d’un bond si rapide au but de ses aspirations, les autres nationalités encore souffrantes ne s’exaltent et ne s’ébranlent, qu’il est impossible que les états conservent, dans une telle fermentation, leur cohésion et leur aplomb, qu’il est impossible que les ambitions politiques, d’elles-mêmes ou par force, ne soient entraînées à se mettre de la partie, et que si l’on se laisse aller au fil de l’eau dans une telle situation, on entre dans une de ces périodes de conflits internationaux que les gouvernemens et les peuples ne sont jamais sûrs de clore à volonté.

Bien loin d’être propagées par l’esprit de parti, ces réflexions, ces conjectures, ces craintes de l’avenir trouvent surtout accès dans une classe qui a de grandes qualités assurément et qui joue le rôle prépondérant en définitive dans les sociétés modernes, mais qui, dans notre pays du moins, ne peut, qu’on l’en blâme ou qu’on l’en loue, être soupçonnée de nourrir des préventions et des passions politiques. Cette classe est celle qui, par l’importance des intérêts qu’elle représente et par son action, remplit chez nous une place analogue à la position qu’occupe de l’autre côté du détroit la Cité de Londres. C’est elle qui mène les capitaux, l’esprit d’entreprise et le travail du pays. M. Fould la connaît mieux que nous. Nos révolutions, ont rendu sceptique en politique ce monde de la finance et de l’industrie. Bien que ses intérêts dussent lui commander d’être libéral, puisqu’il n’y a de garanties pour les intérêts du capital et du travail que dans la liberté, on l’a vu sacrifier complaisamment, suivant les occurrences, la liberté à la seule apparence de l’ordre. Cependant, s’il est impartial en politique jusqu’au scepticisme, il porte dans l’appréciation des situations politiques un discernement, une sagacité, une pénétration qu’aiguise sans cesse l’instinct de ses intérêts immédiats. La politique a beau tenir peu de place dans ses affections, elle remplit la première dans les élémens de ses calculs. Ce n’est pas aux partis qu’il demande des pronostics sur l’avenir, car il se tient perpétuellement en garde contre leurs entraînemens et leurs illusions. Quand une situation politique donne de l’inquiétude à ces froids analystes des événemens, c’est un fait grave, car il se traduit presque toujours en souffrance pour l’industrie et le travail ; mais vous pouvez être sûrs que cette inquiétude n’est point l’œuvre fantastique des factions, qu’elle sort de la nature même des choses. Si les livres et les correspondances de nos banquiers, depuis six mois, pouvaient être livrés à la publicité, les pauvres partis, nous en sommes certains, paraîtraient bien innocens de l’influence qu’on leur prête sur les anxiétés de l’opinion.