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castillan et fortifierait l’esprit militaire du soldat tagal ; enfin, et cette considération était peut-être la plus grave à ses yeux, il voyait dans la guerre de Cochinchine le point de départ d’une alliance intime avec la France pour l’ensemble des affaires asiatiques. Aujourd’hui que tant d’intérêts s’agitent dans l’extrême Orient, et que les puissances européennes vont y faire des traités de paix et des campagnes de guerre, les nations qui possèdent des territoires dans ces lointaines contrées doivent se ménager des alliances pour assurer et défendre au besoin leur position en Asie. Les combinaisons de la politique d’équilibre ne sont plus enfermées dans les étroites limites de l’Europe ; elles sont désormais transportées sur les points les plus reculés du monde. Nul ne sait ce qui peut sortir des événemens dont la mer de Chine est devenue le théâtre. Il suffit qu’il y ait là une situation troublée pour que l’Espagne se préoccupe du sort de ses possessions. Tout lui conseille dès lors de rechercher avec empressement sur le terrain asiatique l’appui d’un pays qui ne lui soit suspect ni comme voisin ni comme rival, qui ait en Orient les mêmes intérêts politiques et religieux. Seule, la France remplit ces conditions d’alliance. Le cabinet de Madrid a donc fait autre chose qu’une manifestation chevaleresque en s’unissant avec nous, et sur notre demande, contre la Cochinchine : il a fait un acte de prévoyance politique dont l’intention n’aurait point dû échapper à la sagacité habituelle de sir John Bowring.

On a souvent accusé les Anglais de jeter sur les Philippines des regards de convoitise et de regretter que le port de Manille, dont ils s’étaient rendus maîtres en 1762, ne soit pas demeuré entre leurs mains. Ce regret est très naturel, les Anglais ont dû l’éprouver plus d’une fois en songeant au parti qu’ils auraient tiré de cette admirable colonie, et, s’ils venaient à s’emparer une seconde fois de Manille, ils seraient probablement peu tentés de restituer une aussi bonne prise. On comprend donc que la crainte de l’invasion anglaise ait fréquemment préoccupé l’administration des Philippines, et qu’il y ait quelque intérêt à savoir si le cas échéant, l’Espagne serait en mesure de défendre ses possessions. Voici ce que dit à ce sujet sir John Bowring : « En temps de paix, l’Espagne n’a rien à craindre pour sa colonie. Tant qu’il ne viendra point d’attaque du côté de l’étranger et que l’administration se comportera avec douceur et prudence, il n’y a pas à redouter la moindre agitation intérieure ; mais je doute que, s’il arrivait un moment de trouble, les autorités eussent à leur disposition de suffisans moyens de défense. On pourrait s’appuyer pendant quelque temps sur l’armée régulière indienne ; pourrait-on compter sur la milice ou sur un corps de volontaires ? Cela est fort incertain. Les Espagnols sont en très petit