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affaires privées, lia des relations avec quelques membres influens de l’opposition et entretint une correspondance suivie avec le prince Christian, puis avec le conseil de régence. Cette correspondance resta secrète jusqu’au moment où le comte d’Essen prit séance au conseil comme gouverneur-général au nom du roi de Suède. Une lettre chiffrée de Londres fut alors saisie et portée à Bernadotte, qui finit par en obtenir l’explication. Elle renfermait le compte-rendu des démarches faites à Londres par le député norvégien auprès des ministres, du mémoire adressé par lui aux représentans des puissances qui avaient garanti la cession de la Norvège à la Suède, à l’effet d’obtenir de ces mêmes puissances qu’elles garantissent encore pour l’avenir l’intégrité de la constitution et le maintien de toutes les prérogatives de la Norvège. — On comprend combien de telles découvertes entretenaient les alarmes de Bernadotte et le faisaient trembler pour l’avenir.

Ses rapports avec la Norvège furent paisibles pendant les premières années, mais sans qu’il se dissimulât que l’union n’apporterait à la Suède qu’une acquisition négative ; il s’en exprimait ainsi lui-même dès juillet 1815. Il est vrai que dès lors aussi commençaient ses bravades ; à la moindre opposition d’un membre du stortking, on l’entendait s’écrier : « Je le ferai pendre ! » mais la crainte du prétendant le retenait, et nulle action ne suivait ses paroles. Il s’enhardit toutefois en 1821, en présence d’une situation plus rassurante en Europe et de l’attitude déterminée de la démocratie norvégienne. C’est alors que pour la première fois se montra l’effet de ce fameux article 79 de la constitution qu’il avait consentie, aux termes duquel une résolution adoptée par trois storthings ordinaires consécutifs devient loi malgré trois refus du souverain. Devenu roi sous le nom de Charles-Jean, Bernadotte, pour éviter cet affront, fut contraint d’accepter l’abolition de la noblesse en Norvège. Il résolut de ne pas subir longtemps un tel joug. Il fit sonder les dispositions des puissances et les consulta à ce sujet. La Prusse répondit vaguement et la Russie de même ; toutefois Suchtelen, représentant du tsar à Stockholm, ne cacha pas son avis que le refus du stortking de payer dans le délai fixé sa part des dettes de l’ancienne monarchie danoise, l’abolition forcée de la noblesse et des privilèges des terres seigneuriales sans indemnité pour les propriétaires, etc., formaient une masse de griefs dont le premier aurait suffi comme motif légitime de changer la constitution. Bien que fort âgé, Suchtelen se rendit à la fin de juillet 1821 à Christiania, auprès du roi, qui le reçut aux yeux des Norvégiens avec des honneurs affectés. La Russie, à la veille de ses démêlés avec les Turcs, ne pouvait être indifférente aux complications du Nord ; elle voulait avoir sa frontière assurée de ce côté,