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Mme Louise n’abandonnait pas l’idée du complot matrimonial des Tranchevent ; elle veillait soigneusement sur les démarches de son beau-fils. Jean, se sentant espionné, dut prendre des précautions inouïes pour se rendre chez Hermine. Toutes ses combinaisons n’empêchèrent cependant pas Mme Tranchevent de se trouver un soir dans le jardin, en face de lui, au moment où il allait ouvrir une petite porte donnant sur la campagne. Mme Louise accabla son beau-fils de plaisanteries malveillantes. Jean, comprenant qu’il lui serait désormais impossible de voir Hermine s’il restait à Keraven, se départit très volontairement envers sa belle-mère de sa déférence habituelle. Il se fâcha, s’exaspéra, et lui rendit sarcasme pour sarcasme. Mme Louise fit intervenir Firmin dans cette querelle, et il fut décidé que le beau-fils irrespectueux retournerait dès le lendemain à Paris. C’était tout ce que voulait Jean ; sous prétexte de curiosité archéologique, il n’arrêta sa place que jusqu’à Auray, et de là se rendit directement au bourg de Pont-Scorf. En deux heures, il pouvait faire à pied les trois petites lieues qui séparent Pont-Scorf d’Hennebon. Quand tous le croyaient à Paris, il n’y avait aucun danger à traverser pendant la nuit cette petite ville.

Trois fois Jean arriva sans accident jusqu’à la chambre d’Hermine. À son quatrième voyage, au moment d’escalader la haie, il s’arrêta plein d’anxiété. Contre l’habitude, la chambre était éclairée, et la croisée ne s’ouvrait pas. Jean demeura dans la prairie, caché derrière un arbre. La lumière continua de briller. À l’approche du jour, le malheureux s’éloigna d’Hennebon le désespoir dams l’âme.

La veille au soir, au moment où Mme Tranchevent s’asseyait entre ses deux filles à la table de travail, tandis que le lieutenant achevait de fumer son cigare près de la fenêtre ouverte, Mme Simonin aînée était entrée dans la chambre accompagnée de sa sœur Martine et d’Angélina Richard. Les trois vieilles filles échangeaient entre elles des regards d’intelligence. Au bout d’un quart d’heure, Angélina, qui semblait vouloir s’effacer en cette circonstance, fit à Mlle Simonin aînée un signe de tête qui signifiait : Parlez donc !

— Est-ce qu’on n’a jamais rien volé dans votre jardin ? dit la doyenne des Simonin au lieutenant, assis en ce moment sur un petit canapé, au coin de la cheminée.

— Pas une seule poire, à ma connaissance, répondit le lieutenant avec indifférence.

— Cela m’étonne, dit Mlle Simonin avec intention.

— Et pourquoi donc ? demanda Mme Tranchevent.

Mlle Simonin lança à Angélina un regard accompagné d’un geste qui signifiait : A votre tour.