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s’était remise à tricoter près de la croisée, laissant son mari et la Ginevra vis-à-vis l’un de l’autre à l’extrémité de la chambre.

Le lieutenant s’était enfin décidé à tendre la main à l’artiste ; il lui adressait sur sa santé de banales questions auxquelles la Ginevra répondait à peine.

— J’ai vu Hermine hier, dit-elle tout à coup avec une courageuse résolution.

Le lieutenant fit un geste comme pour empêcher la Ginevra de continuer.

— Hermine ne peut pas rester dans ce couvent ; c’est une odieuse prison. Si vous tenez à l’existence de votre fille, il faut l’en retirer au plus vite.

— De grâce, laissons cela ! murmura le lieutenant.

— Qu’a-t-elle donc fait, cette malheureuse enfant, pour mériter les tortures que vous lui infligez ? s’écria la Gineva avec force.

— Je vous l’ai dit en d’autres temps, Ginevra, nous ne nous entendrons jamais sur certains points, murmura lentement le père d’Hermine.

— Certes, non, répliqua la Ginevra. Mon bon lieutenant, mon vieil ami, poursuivit-elle en changeant complètement de ton et de physionomie, il ne s’agit pas de savoir qui de nous deux a raison ; il s’agit de sauver une douce, une charmante enfant qui se meurt d’ennui, d’isolement, de tristesse. Vous ne songez donc jamais à ce que souffre votre Hermine ?

— Je souffre encore davantage, dit M. Tranchevent avec accablement.

— J’ai bien envie de vous dire que c’est un peu votre faute, hasarda la Ginevra avec douceur. Faites taire un instant la susceptibilité ombrageuse dont vous me permettiez de rire autrefois ; songez un peu moins à l’opinion des autres, écoutez un peu plus votre raison, votre cœur, et vous vous apercevrez peut-être qu’au fond il n’y a guère lieu à ce grand désespoir.

— Ginevra ! interrompit le lieutenant d’une voix indignée.

— Eh ! mon Dieu ! s’écria l’artiste avec une noble franchise, vous m’avez bien appelée votre amie, votre sœur, moi ! Je ne vous ai pourtant jamais caché ma vie. Comment pouvez-vous punir comme un crime irrémissible chez une enfant ce que vous excusiez chez une femme en possession de toute sa force, de toute sa liberté ?

Mme Tranchevent, la digne mère de famille, esclave de ses devoirs, s’associait de toute son âme à cet appel hardi à la justice.

Le lieutenant demeurait silencieux ; la Ginevra crut l’avoir ébranlé. — Lisez ceci, lui dit-elle en lui présentant comme dernier argument un papier sur lequel Hermine avait écrit ces quelques mots : «