Je t’en supplie, mon père, laisse-moi sortir d’ici. » Le lieutenant écrivit au-dessous : « S’il vous est indifférent de faire mourir de douleur le père que vous avez déshonoré, vous pouvez quitter le couvent. » Puis il rendit le papier à la Ginevra.
L’artiste rougit d’indignation après y avoir jeté les yeux. — Vous n’avez pas de cœur ! s’écria-t-elle ; puis elle sortit brusquement.
La Ginevra passa près d’un mois au Faouët avec Hermine. Elle s’efforça de cacher à son Bengali ses colères, ses inquiétudes, surtout l’horreur qu’elle éprouvait pour l’accablante existence du couvent ; mais sa physionomie, ses discours, n’en trahissaient pas moins la révolte et l’ennui. Son séjour au Faouët fit plus de mal que de bien à Hermine. Après son départ, la jeune fille se sentit non-seulement plus seule, mais mille fois plus souffrante, plus découragée qu’auparavant.
Deux ans s’étaient passés. Hermine se mourait au Faouët. Sa poitrine, toujours faible, était mortellement atteinte ; ses forces déclinaient de jour en jour. Comme toutes les âmes ardentes qui désespèrent du bonheur, elle s’était plu longtemps à exagérer ses souffrances morales et physiques. Sa douceur, sa bienveillance, lui avaient gagné dès les premiers jours la sympathie des pauvres créatures qui l’entouraient ; elle ne se déplaisait point au milieu d’elles, et pourtant elle passait souvent des semaines entières dans une solitude absolue. Éprouvant un besoin d’exercice que l’exiguïté du jardin ne lui permettait de satisfaire qu’incomplètement, elle se renfermait pendant de longs mois dans sa chambre ; d’autres fois elle s’exposait sans nécessité au froid, à la pluie ; elle se promenait bien avant dans la soirée la tête nue dans la brume, les pieds dans la terre mouillée. « Vous vous tuerez ! » lui disaient les religieuses qui traversaient le jardin au retour de la prière. « Tant mieux ! » répondait intérieurement Hermine. — Mais quand les maladroites exhortations des sœurs et les hochemens de tête du médecin qui la soignait lui eurent révélé l’approche possible de la mort, une révolution subite se fit en elle, à tout prix, elle voulut vivre. Elle écrivit à Jean, au fond de l’Afrique, une lettre où la prévision d’une fin prochaine se mêlait à des élans impétueux vers le bonheur, à des projets insensés. Jean, au désespoir, confia ses angoisses à un vieux capitaine dont il avait conquis l’amitié en le dirigeant dans des études géologiques. Cet officier obtint pour lui un congé de quinze jours. Il fallut presque une semaine à Jean pour arriver jusqu’au Faouët. Une lettre l’avait devancé : il était convenu qu’il s’annoncerait comme le frère d’Hermine. L’identité du nom et de l’âge rendait cette assertion tellement vraisemblable qu’aucun doute ne fut émis par la défiante supérieure.