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répugnances ne veulent pas se laisser sacrifier. Aussi, quoiqu’en Angleterre comme ailleurs le XVIIIe siècle eût été relativement une époque de raisonnement, c’était chez un peintre anglais, chez Reynolds, que s’étaient conservées les seules traditions de couleur et d’élévation un peu sérieuse qui restassent alors, ou peu s’en faut, dans le monde, et c’est encore en Angleterre qu’un autre peintre, William Turner, créait au commencement de notre siècle ce que l’art moderne a de plus original : son école de paysage.

Comme pour mieux justifier encore le vieil adage remotos toto orbe Britannos, voici que depuis environ quinze ans, c’est-à-dire depuis que l’Allemagne et la France sont rentrées dans le repos, l’Angleterre est devenue à son tour le théâtre d’une propagande fort animée dans le domaine de l’art. Jamais la peinture et l’architecture n’y avaient excité un intérêt aussi général. Cette agitation se rapproche de notre mouvement romantique, elle en rappelle du moins l’enthousiasme, les insurrections contre le passé, les élans pleins de foi vers un avenir inconnu. Seulement ici encore l’Angleterre ne perd pas son caractère propre, et ce qui s’y passe est surtout un mouvement d’idées. Chez nous, le besoin d’agir et de parler suit presque instantanément le premier ébranlement de la pensée ; de l’autre côté du détroit, tout se prépare patiemment dans les esprits : la réforme parlementaire, la réforme commerciale, ont été précédées de fréquens meetings, de longues discussions dans les journaux, d’une période d’incubation enfin. L’enfant anglais lui-même, comme on peut le lire sur ses traits, s’arrête pour considérer avant de parler. Ainsi fait en ce moment l’Angleterre pour l’art : elle en est à son examen de conscience.

Cette disposition a pu nuire au succès des Anglais dans la peinture ; elle a pu contribuer à l’espèce d’hésitation qu’on remarque dans leurs œuvres, et qui leur fait souvent manquer le but. Ce n’est pas faute d’aptitudes plastiques, c’est plutôt qu’ils ne savent pas s’entendre avec eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, les idées qui s’agitent en ce moment n’ont rien perdu à être méditées, et elles ont d’autant plus d’intérêt pour nous qu’elles abordent la question de l’art par un côté qui n’a point assez attiré notre attention. Notre propre révolution romantique eut le tort d’être trop purement négative ; elle s’est à peu près bornée à demander la cessation de l’esclavage, la liberté de l’imagination et du sentiment individuel. Sortir des vieux erremens serviles, rien de mieux ; mais ensuite ? C’est ne rien dire que de réclamer seulement pour chacun le droit de peindre comme il l’entend : c’est ouvrir la porte à tous les genres possibles de peinture et à tous les styles. Je sais bien que le romantisme a parlé aussi de vérité dans l’art, qu’il a invité les peintres à abandonner