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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/191

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les types convenus et le beau idéal pour rechercher le caractère ; mais, tels qu’on les employait, ces mots de caractère et de vérité avaient un sens bien vague. Après tout, les formes classiques elles-mêmes, ou du moins les manières de faire érigées par les copistes en pratiques sacramentelles, avaient été primitivement des vérités : chez ceux qui les avaient trouvées, elles avaient été suggérées par des impressions réelles ; elles représentaient ainsi plus ou moins leur vraie manière de voir. Le plus faux système n’est qu’une conclusion exclusive. L’erreur des classiques avait été de s’en tenir à deux ou trois observations au lieu de continuer à observer ; ce qu’ils avaient fait, les romantiques l’ont fait à leur tour. Faute de définir suffisamment cette vérité et ce caractère, réclamés comme essentiels, l’école nouvelle, au nom de la vérité, est bientôt retombée dans une manière. Il semble qu’on n’ait étudié que pour chercher une recette qui permît de peindre sans penser. Au lieu d’une routine nationale, nous avons eu vingt routines individuelles. L’un a été séduit par l’aspect monumental que présente un bras quand l’ombre s’étend sans demi-teinte jusqu’à la limite du contour, et il a tiré de là un système invariable de modelé qui consiste à ne jamais admettre de reflet ; un autre a été sensible à certaines harmonies de teintes jaunes ou violacées, et il s’est construit un mode de coloration qui traite toutes les autres gammes de tons comme non avenues. En un mot, au milieu de beaucoup d’enthousiasme, de beaucoup de bonnes intentions, de louables efforts pour émanciper l’art des vieilles autorités qui prescrivaient une forme aux œuvres, l’on ne s’est point assez préoccupé d’examiner quelle règle il convenait de substituer à l’ancienne loi. On a trop laissé chacun peindre à son gré, au lieu de se demander ce que la peinture devait être pour traduire fidèlement, non pas les perceptions insuffisantes de celui-ci ou celui-là, mais tout ce que les facultés de notre époque pouvaient percevoir et concevoir dans les limites de l’art. On a trop cru qu’il suffisait d’être libre pour avoir du génie, et que le bon plaisir, suivant la prophétie phalanstérienne, remplacerait désormais avec avantage toute la pénible morale des devoirs. On a oublié la chose importante, la seule qui pût rendre féconde la libre production, en omettant de bien fixer dans les esprits les principes auxquels l’artiste ne doit pas céder et ceux qu’il est tenu d’avoir pour se bien diriger lui-même.

Nous verrons au contraire à quel point on s’est préoccupé en Angleterre de ce gouvernement moral de la liberté, à quel point, en même temps qu’on faisait une rude guerre à l’autorité des cinq ordres d’architecture et de toutes les autres recettes pratiques, on s’est efforcé de créer pour l’art un nouveau but, de déterminer ce