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Voilà donc cette situation générale des grandes puissances, qui, jointe à la crainte toujours subsistante de renouveler par des commotions quelconques les crises particulières au XIXe siècle et de provoquer par la guerre la révolution, donne à la France un assez libre espace pour se mouvoir sans péril et pour faire preuve d’influence et d’activité.

On ne nous accusera pas d’avoir, en le traçant, enlaidi le tableau de la situation. Nous l’avons décrit comme le voient ceux-là même dont nous n’avons pas les illusions. Tels sont les faits dont l’aspect rassurant endort la prudence des prudens eux-mêmes et monte la tête aux téméraires, aux étourdis, qui ne voient plus de danger et ne connaissent plus d’obstacles. Qu’on y pense cependant, les barrières qui isolent les grandes puissances ne sont pas de celles qu’on ne peut abattre. Les oppositions qui les séparent peuvent être conciliées, les questions qui les divisent peuvent être soit résolues, soit ajournées. Qu’un intérêt commun, saisissant, dominant, leur apparaisse un jour ; il peut les rallier en quelques momens, et tout s’évanouirait, rivalités et ressentimens, devant un danger commun venu d’un même point de l’horizon. Nous avons vu trop longtemps la crainte seule d’une révolution purement possible maintenir dans une oppressive et redoutable unité le faisceau des monarchies continentales, et encore l’Angleterre se retirait-elle alors de l’alliance. Que serait-ce si, pour d’autres causes, elle la suscitait et la formait elle-même ? Ce que la crainte de la révolution a fait, une crainte différente l’avait déjà antérieurement produit. Que la France ne l’oublie pas, elle a dans son passé deux moyens d’effrayer le monde. À ceux qui prêchent la politique perturbatrice au dedans, on rappelle d’ordinaire, comme un épouvantail salutaire, cette seule date : 1793. À ceux qui conseilleraient avec le même aveuglement la politique perturbatrice au dehors, on ne manquerait pas d’une date à citer : 1813.

Ce n’est plus, je le sais, à la prétention déclarée de la monarchie universelle, ce n’est plus à la restauration de l’empire de Charlemagne que les écrivains qui veulent transformer l’Europe nous convient aujourd’hui. Il est un certain nombre, d’idées plus plausibles qui courent le monde depuis ces dernières années, et qui, soigneusement recueillies, commentées, peuvent être offertes, sans effrayer ou révolter les esprits, au public, et, en s’y prenant avec adresse, aux gouvernemens. Après avoir bien constaté l’expérience faite par la guerre d’Italie, bien expliqué l’état de l’Europe qui vient d’être retracé, on demande fièrement quelquefois, plus souvent avec modestie, s’il n’y aurait pas quelques raisons de solliciter ou d’exiger de l’Europe son acquiescement à un nouvel arrangement territorial,