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les fois qu’on nous le prononce. Ne l’employons, ne l’acceptons pas sans le définir, sans regarder s’il a un sens sérieux et réel et quels faits en motivent l’emploi.

Les applications les plus connues que l’on ait faites dans ces derniers temps de l’idée de nationalité sont, comme on sait, le panslavisme, le teutonisme, l’italisme. Or il s’agit de la France apparemment ; nous n’écrivons que pour elle. Que lui disent ces trois mots ? Et comment pourraient-ils servir à motiver pour elle le besoin ou l’ambition de délimitations nouvelles ? Directement cette triple nationalité ne nous touche point. Le panslavisme n’est qu’une théorie forgée après coup pour exprimer certaines affinités, certaines sympathies soigneusement et artificieusement cultivées, pour faciliter, dans un avenir indéfini, certains envahissemens dès longtemps médités. Notre intérêt, celui du monde, est de résister plutôt que de satisfaire aux idées d’invasion qui se cachent derrière cette pédantesque formule. L’hypocrisie, qui se fait si savante, n’en est pas moins reconnaissable.

Le teutonisme a été inventé contre nous. Une certaine unité germanique est souhaitée par la démocratie allemande, parce que la centralisation et la démocratie s’appellent l’une l’autre ; mais elle avait été conçue auparavant par des rois et des ministres afin d’opposer un corps compacte à la puissance française, accoutumée dès longtemps à diviser l’Allemagne pour la vaincre. Cette forme du principe de la nationalité n’a rien assurément qui mérite notre intérêt. Si elle osait davantage, si par aventure elle devenait plus offensive, si le teutonisme, prenant pour auxiliaire la linguistique, envahissant en idée toutes les provinces où l’on entend l’allemand, jetait un œil de convoitise sur tel ou tel de nos pays frontières, nous n’aurions à lui faire que la réponse historique : « Viens les prendre. »

Singulière prétention que celle de cette théorie de publicistes philologues d’après laquelle il faudrait scinder les anciens Pays-Bas et attribuer séparément à l’Allemagne et à la France la partie flamande et la partie wallonne, en sorte que la ville de Bruxelles elle-même, grâce à ses deux moitiés différentes de race et d’idiome, devrait être divisée et ne pas appartenir au même maître ! Évidemment le germanisme n’est encore qu’un prétexte destiné à masquer des ambitions ou des jalousies nationales. Au fond, quel peuple n’est pas en quelque façon germain ? L’Anglo-Saxon et l’Anglo-Normand en Angleterre ne sont-ils pas plus Germains que Celtes, et la nation qui porte le nom des Franks, qui a gardé la loi des Saliens, ne pourrait-elle pas aussi bien prétendre par l’origine à passer le Rhin que s’attendre à le voir franchir ? Toutes ces réminiscences à demi fabuleuses pour les masses sont bonnes peut-être pour colorer