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pour se défendre, n’étant point attaquée, beaucoup de personnes se demandent s’il ne vaudrait pas mieux remettre la presse sous le régime pur et simple de la loi. M. de Chateaubriand, au commencement de la restauration, demandant une loi sur la presse, disait qu’il n’était pas besoin que ce fût une loi indulgente et douce. Qu’elle soit sévère, disait-il, mais que ce soit une loi ! Point d’arbitraire, dût même l’arbitraire être exercé modérément. Que chacun sache quel est son droit et jusqu’où va ce droit : tel est le régime que nous souhaitons pour la presse. Soumettez-la à l’empire des lois et des tribunaux ; que les lois et les magistrats lui soient rigoureux, nous y consentons de grand cœur. Nous aimons mieux une loi dure qu’un arbitraire complaisant. Une fois que la presse aura retrouvé la loi pour règle et pour guide, elle ne sera pas tantôt hardie jusqu’à la licence, parce qu’elle croit s’accorder avec les passions de quelques hommes puissans, tantôt timide jusqu’à l’insignifiance. Étant à la fois soutenue et contenue par la loi, elle rendra à l’opinion publique les services qu’elle peut lui rendre : elle l’informera. — Mais si elle l’égare ? — L’opinion publique ne s’égare-t-elle pas aussi dans le silence ? Nous voyons dans les mémoires de M. Miot que Napoléon, quelque temps après la mort du duc d’Enghien, se plaignait dans le conseil d’état des bruits qui se répandaient dans Paris et de la crédulité inexplicable des Parisiens. Ce qui expliquait cette crédulité, c’était le silence de la presse. Comme les journaux ne disaient rien, on croyait ou on craignait tout. On sait combien l’obscurité aide chez les enfans à la peur. Le silence de la presse fait à certains momens le même effet sur l’imagination publique. Substituer le régime légal et judiciaire au régime administratif, voilà, selon nous, un des moyens les plus efficaces de rendre à la presse quotidienne un peu de la force qu’elle a perdue et dont personne n’a hérité. Cependant, si j’avais à choisir entre ce moyen qui ne concernerait que les journaux et un réveil de l’esprit libéral dans le pays et dans les assemblées délibérantes, je n’hésiterais pas à préférer le réveil de l’opinion publique à l’affranchissement de la presse. Qu’est-ce qu’une presse libre et même violente dans un pays indifférent ? Un bruit de cymbales dans les airs. Ayez au contraire des assemblées délibérantes qui prennent à cœur d’exprimer l’opinion publique et de l’éclairer, la presse, quelque subordonnée que vous la puissiez supposer aux volontés de l’administration, la pressé deviendra libre par le contact de la liberté des assemblées délibérantes.

C’est dans cette pensée que je veux examiner les moyens que le sénat et le corps législatif ont, selon la constitution, de connaître et d’exprimer l’opinion publique.