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droit de recevoir les pétitions des citoyens et d’en délibérer. Par là, ses conseils et ses avis pénètrent dans le gouvernement ; par là, il connaît et fait connaître l’opinion publique ; par là, il échappe à la destinée que semblaient lui imposer quelques publicistes d’être plutôt fait pour porter les grands coups que pour défendre régulièrement et paisiblement la liberté.

C’est seulement depuis quelques mois que se fait sentir cette influence du droit de pétition sur le caractère politique du sénat. Tout le monde y a contribué, le sénat, le public, et le gouvernement plus que personne par la publicité qu’il a donnée aux discussions du sénat.

Le sénat, depuis sa création, recevait des pétitions et il en délibérait ; il y avait même des procès-verbaux qui rendaient compte de ces discussions. J’ai eu occasion de lire plusieurs volumes de cep procès-verbaux, et je les ai lus avec plaisir. Les discussions sont sincères, approfondies, intéressantes : on sent que le sénat prend à cœur ses délibérations, toutes secrètes qu’elles sont ; mais, comme tout cela se passait en famille et à huis clos, le public ne s’en doutait pas et se souciait peu du droit qu’il avait d’adresser des pétitions au sénat. Je veux citer un témoignage curieux de cette insouciance du public.

Quand au mois de janvier 1859 la France apprit un peu inopinément qu’elle allait avoir la guerre avec l’Autriche, il y eut dans le pays, on s’en souvient, un mouvement visible d’inquiétude. La société moderne, très commerçante et très industrieuse, n’aime pas la guerre. D’où vient donc qu’étant inquiet et alarmé, le parti de la paix n’ait pas songé à adresser ses doléances au sénat sous forme de pétition ? Il le pouvait, car l’article 45 de la constitution, en reconnaissant le droit de pétition, ne l’a ni limité ni circonscrit ; tout le monde peut pétitionner sur toutes choses. Le sénat juge et délibère. Pourquoi donc n’a-t-il pas été adressé de pétitions au sénat pour demander le maintien de la paix ? Est-ce que le pays se défiait de la bonne volonté du sénat ? Est-ce que, sachant l’immense pouvoir qu’il avait reçu, il craignait de le mettre en action ? Non : cela tient uniquement à ce que le pays ignorait naïvement ce que pouvait et ce que voulait le sénat. Il ne s’en défiait pas, il l’oubliait. La nation, et cela est fort naturel, ne connaît que les pouvoirs qu’elle voit agir. Elle connaît l’empereur, parce que le pouvoir impérial agit, et même elle croit qu’il n’y a que ce pouvoir qui agisse. C’est donc vers l’empereur qu’elle tourne toujours ses regards. J’entends dire sans cesse, et je dis moi-même sans cesse : Que veut l’empereur ? que pense l’empereur ? Je ne me suis jamais surpris à dire : Que veut le sénat ? que pense le sénat ? Cet oubli involontaire est un