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en un mot une solution digne de notre temps et de la grandeur britannique, honorable pour le négociateur chargé de la signer, féconde en sympathies et en influence morale pour le gouvernement de la reine Victoria, satisfaisante pour tout le monde, même pour sa majesté George-Frédéric, le pauvre Indien de Bluefield, car le général Martinez avait manifesté sa ferme intention de lui garantir une large indemnité, — de 25 à 30,000 francs de rentes, — en échange d’un titre sans pouvoir et d’un état sans revenu.

Cependant cette solution n’a pas été adoptée. Pourquoi ? C’est le secret d’une politique où les intérêts individuels jouent presque toujours un rôle considérable. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en arrivant au Nicaragua, où il était attendu comme un libérateur, sir William Ouseley a trouvé une pétition revêtue de soixante signatures des habitans de Grey-Town, demandant que la ville ne fût pas rendue à sa nationalité territoriale, mais fût déclarée ville libre, et que cette démarche lui a servi de prétexte ou d’occasion pour prendre une attitude qui renverse toutes les espérances hispano-américaines. Est-ce à dire qu’une pareille pétition, émanée d’étrangers, fût un titre concluant contre le Nicaragua ? Pour en apprécier la valeur, il faut savoir que l’autorité politique à Grey-Town, exercée nominalement au nom du roi mosquite, réside de fait dans un consul anglais irresponsable, dont le pouvoir s’étend jusqu’à la possession du sol, qu’il loue ou qu’il vend à son gré sans aucun contrôle. J’ignore si cet état de choses est légal, mais il a créé des intérêts qui tendent à se perpétuer. La domination mosquite a d’ailleurs, de tout temps, couvert de son manteau de faciles distributions de terrains qui ne seraient peut-être pas reconnues par une législation régulière. Tout récemment encore, au mois de décembre 1859, le commandant d’un navire de sa majesté britannique s’est fait attribuer, moyennant vingt livres sterling, la propriété de huit lieues carrées à l’embouchure du Rio-Monkey, entre San-Juan-del-Norte et Bluefield. Il est tout naturel dès lors que l’élément anglais de ces parages, encouragé dans cette voie par son consul, réclame le maintien d’une situation dont il profite, et comme d’un autre côté les Américains de Grey-Town n’aspirent qu’à fonder leur propre souveraineté sur les ruines de toutes les autres, ils n’ont pas manqué de s’associer à une manifestation qui servait leurs projets. Telle est l’explication de ces soixante signatures obtenues sur cent vingt-cinq chefs de famille.

Sir William Ouseley cependant les a prises au sérieux, sans doute parce que ses instructions étaient formelles, et toute sa conduite au Nicaragua porte l’empreinte d’un parti-pris qu’on ne saurait trop regretter. Il a d’abord présenté au gouvernement du général Martinez