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un traité de commerce et de protection calqué sur le traité Cass-lrizarri, c’est-à-dire sur un détestable modèle. Puis, lorsque cette première convention a été amenée à ce point qu’il ne lui manquait plus que la ratification de la reine Victoria, le ministre a fait entendre au président que cette ratification ne serait pas signée, et que par conséquent la protection de l’Angleterre ferait défaut au Nicaragua tant que celui-ci n’aurait pas signé un second traité, dont l’article principal était la reconnaissance de Grey-Town comme ville libre. Ainsi il ne s’agissait plus de restitution au légitime souverain, mais d’une renonciation de ce même souverain à des droits incontestables qu’il avait toujours réservés, même sous la pression de la force. Et on lui demandait cette renonciation, non en faveur d’un allié qui l’aurait défendu contre ses ennemis, mais au profit de ces ennemis eux-mêmes, au profit de ces aventuriers de New-York et de Mobile, contre lesquels il invoquait précisément la protection de l’Angleterre ! Il était évident que Grey-Town devenu ville libre, Grey-Town, où l’élément américain dominait déjà les élections et disposait de l’autorité municipale, serait avant un mois un dédoublement de Colon et l’un des quartiers-généraux du flibustérisme, et que, bien loin d’avoir garanti là sécurité du Nicaragua, on aurait ainsi livré sa frontière et son unique issue aux envahisseurs.

Que pouvait répondre le général Martinez à de semblables propositions ? C’est une justice à rendre à ces petits gouvernemens espagnols que, dans l’impossibilité où ils sont de lutter à armes égales, ils possèdent du moins au plus haut degré la dignité de la résistance passive. Pour le général Martinez surtout, dont le patriotisme est la grande vertu, cette résistance était un devoir de citoyen et de soldat, et il l’a rempli jusqu’au bout. Sa position pourtant était délicate et pleine de périls, car l’Angleterre d’un côté, les États-Unis de l’autre, pesaient sur ses déterminations de tout le poids de leurs navires de guerre, en permanence dans les deux mers. On lui reprochait surtout comme une folie, presque comme une trahison, la confiance qu’il avait placée un moment dans le patronage de la France, et la vanité de cette confiance étant bien constatée, il ne lui restait plus qu’à subir la loi des circonstances en échange d’une protection plus efficace. Cependant le général savait mieux que personne que du jour où Grey-Town échapperait à la fois à la souveraineté mosquite et à celle du Nicaragua, il tomberait entre les mains des États-Unis, et que du même coup le fleuve et le lac ne s’appartiendraient plus. Mieux valait alors conserver le statu quo, qui du moins fermait le passage aux flibustiers et maintenait la paix intérieure. Cette logique brutale des faits a servi de guide à sa politique, et tous les efforts de sir William Ouseley ont échoué devant la patriotique obstination