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perplexité. Voulez-vous en sortir ? Sollicitez le témoignage, non de l’étranger qui a traversé le pays, — et qui en par le selon le hasard des rencontres, selon l’état de son humeur particulière, selon les préjugés qu’il y apportait, selon l’accueil qu’il y a trouvé, — mais l’habitant lui-même, pour qui rien n’est énigmatique, qui n’en est pas réduit à questionner, à interpréter, à mettre d’accord des renseignemens incomplets avec des impressions plus ou moins trompeuses. Où le voyageur n’a fait que voir, l’indigène a pu savoir ; où le premier a rencontré un masque impénétrable, le second n’a pas même besoin de soulever un voile transparent. Le même contraste qui a laissé l’un dans un doute insoluble est pour l’autre l’alliance toute simple, toute naturelle, de deux faits corrélatifs. Son œil exercé en saisit le rapport secret, que mille menus faits épars ont éclairé pour lui d’une lumière toujours plus vive.

Tous nos voyageurs par exemple ont eu à signaler l’un après l’autre cette contradiction flagrante du républicanisme qui s’éprend des distinctions sociales et l’étrange contraste qu’offrent ces fiers citizens ébahis devant un titre nobiliaire souvent fort suspect. Il y a là une inconséquence grave et un ridicule bien complet : la première choque notre logique impérieuse, notre impérieux sentiment d’égalité ; le second réveille en nous ce besoin de raillerie qui est une des forces et une des faiblesses de l’esprit français. Étonnons-nous donc et rions ! Nous nous trouverons parfaitement d’accord en ceci avec l’auteur des Potiphars Papers, dont un des meilleurs chapitres (our best society) est justement une dénonciation très formelle de cette bévue anti-démocratique. Il faut l’entendre signaler avec amertume l’insolence patricienne de ces jeunes gens qui vont au bal chez un riche négociant, boivent son vin, détériorent ses tapis, rient de son luxe maladroit, et se croient quittes envers eux-mêmes de cette dérogeance moyennant le soin qu’ils ont pris de « ne pas se faire présenter. » Et ils prennent, ajoute-t-il, ces façons de lords tout simplement parce qu’ils portent, en le déshonorant, le nom de quelqu’un qui, certain jour, fut utile à son pays, tandis que Potiphar (le négociant en question) est tout bonnement un honnête homme qui a fait fortune.

Cette brillante jeunesse qui croit se devoir à l’oisiveté la plus absolue se trouve bientôt, par le jeu naturel des choses, reléguée au second plan. La fortune due à l’ancêtre se divise, s’émiette et se fond ; de là une triste et avilissante nécessité, celle d’un mariage d’argent. C’est comme « chasseurs de dot » que vous les voyez s’entasser dans les salons éclairés et dorés à outrance que leur ouvre la vanité de M. Potiphar. Ils y étalent leurs grands airs blasés, leur condescendance aristocratique. La plupart sont allés à l’étranger