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chercher le droit de mépriser leur pays ; ils ont passé un an ou deux à Paris, un mois ou deux dans le reste de l’Europe : c’en est assez pour qu’ils affectent de déprécier tout ce qui est américain. Les dames sont sujettes à se laisser éblouir par ces merveilleux qui les obsèdent ; mais la jeune Amérique s’indigne et proteste.

« Ces élégans Pendennis[1], nous dit l’auteur de Potiphar, qui lui sert ici d’interprète, ont eu leurs jours de candeur juvénile, de généreux élan, de noble ambition. Ils avaient lu l’histoire des grands hommes, de leurs conceptions, de leurs luttes, de leurs victoires. Ils honoraient les femmes, ils croyaient en elles. Un sûr instinct les ralliait à ce qu’il faut aimer, et les éloignait de la séduisante apparence, du piège artificieusement tendu, de l’élégance qui ment, de la grâce qui trompe. L’antique croisade contre l’hypocrisie et le mal avait en eux de nouveaux chevaliers. Malheureusement le luxe de Corinthe les a perdus. Ils ne cherchent plus au-delà les rivages âpres et glorieux. Le sourire d’aujourd’hui leur paie les larmes de l’avenir. Ils ont renoncé au culte sévère du Dieu inconnu pour tomber aux pieds des divinités païennes. Le sceau définitif de leur honte est dans ce sourire avec lequel ils parlent de leurs rêves passés et des illusions de leur jeune âge, méfians de toute simplicité, sceptiques à l’endroit des hommes et des mobiles qui les font agir.

« Cette jeunesse, avide de gloire, qui voulait combattre et vaincre, et laisser un souvenir, une trace de son passage, se contente maintenant à moins de frais : boire, manger, dormir le mieux possible, voilà son rêve. Elle est assidue à l’opéra, elle ne manque pas un grand bal, elle se complaît à être qualifiée de « comme il faut, » élégante, aristocratique, dangereuse. — Elle savoure la somptueuse indolence qui l’énervé et les succès qu’elle doit à la réputation d’avoir « mené la bonne vie de Paris. »

« Dès le début, il est aisé de prévoir comment finiront ces brillans insectes. Un « bon mariage » est leur éteignoir, et fait d’eux les annexes de quelque femme opulente. Quand cette chance de salut leur échappe, ils dégénèrent en vieux roués, hommes du monde pour tout de bon, hélas ! et en vrais blasés, qui ne jouent plus l’élégante comédie du dédain. Ils ont commencé comme Arthur Pendennis, ils finissent comme le major. »

En face de ces types dénationalisés figure la jeune Amérique. Vous pouvez l’observer aussi dans les salons de M. Potiphar. Elle a d’autres défauts : elle est bruyante, familière ; elle se lance, avec toute l’impétuosité du go-ahead yankee, dans le tournoyant labyrinthe des valses et des polkas. Le buffet, où elle a puisé une portion notable de cette ardeur parfois incommode, la voit plus fréquemment qu’il ne faudrait revenir à l’assaut. Et si l’auteur des Potiphar Papers n’a point calomnié la « meilleure société » de New-York, l’abus des rafraîchissemens met en relief, d’une bien singulière façon, les inconvéniens d’une hospitalité prodigue au-delà de toute prudence.

  1. Allusion au roman bien connu de William Makepeace Thackeray.