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Quant à ces belles jeunes filles qui se confient avec une audace tranquille au tourbillon ardent où les entraînent des partners respectueux peut-être, mais à coup sûr très peu solides sur leurs jambes, elles étonnent le spectateur désintéressé par l’extrême confiance qu’elles ont dans leurs charmes et la générosité, tout innocente, il le faut croire, qu’elles mettent à les faire admirer. Elles l’étonnent aussi, quand il se hasarde auprès d’elles, par des naïvetés tout à fait imprévues. — « M’adressant à une de ces houris essoufflées qui s’était réfugiée dans une embrasure de croisée, je lui parlai (assez sottement, je l’avoue) de la galerie de Dusseldorf. — Oui, me répondit-elle, il y a de jolis tableaux ; mais, grand Dieu ! quelle patience il a fallu à M. Dusseldorf pour couvrir tant et tant de toiles[1] ! »

Quand l’écrivain à qui nous empruntons ce bel échantillon de causerie résume les impressions que laisse un bal de New-York, sa plaisanterie tourne à l’amertume. Il a compté les regards d’envie jetés par les invités sur ce luxe absurde et sans goût ; il a écouté les réflexions que provoque une dépense appelée à faire règle ; il s’est rendu compte des effets désastreux qu’entraîne la lutte, toujours plus ardente, des vanités rivales : le mariage devenant par degrés un luxe de moins en moins abordable, la jeunesse conviée à d’ignobles calculs, les bons partis poursuivis par de chastes demoiselles comme le sont par les notabilités du « demi-monde » certaines protections opulentes, la richesse prisée avant tout et par-dessus tout, l’isolement des vieillards dans une société ainsi matérialisée, qui les foule aux pieds comme autant de « non-valeurs » gênantes. Une triste vision s’offre alors à lui : le bal étincelant de mistress Potiphar lui rappelle le tableau où l’un de nos peintres a représenté, non sans quelque arrière-pensée d’allusion, les Romains de la décadence ; il croit lire sur les murs tapissés de soie la terrible inscription du festin de Balthasar ; il se rappelle les somptuosités au milieu desquelles Venise s’éteignit lentement, et se demande si la jeune république en est déjà, moins d’un siècle après sa fondation, à sentir la gangrène mortelle gagner peu à peu ses parties nobles.

Boston se vante d’être l’Athènes des États-Unis ; c’est la ville intelligente, la ville littéraire par excellence. On n’y voit pas les choses aussi en noir. Le dandysme y compte au moins un avocat : c’est cet écrivain dont les essays, publiés dans Y Atlantic-Montkly, viennent d’être réunis et forment l’un des trois ouvrages que nous avons voulu consulter. À ses yeux, plus ou moins prévenus, le dandy, s’il n’est pas bon à grand’chose, n’est pas cependant bon à rien.

  1. Potiphar Papers. — Our best Society.