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des citations empruntées à leurs propres ouvrages : jamais Érasme n’a porté de tels coups. Vivès aimait et vénérait comme un maître l’auteur de l’Éloge de la Folie ; nul plus que lui ne contribua à répandre ses écrits en Espagne. Cette propagande ne dura guère cependant. Les moines détestaient Érasme, ils abhorraient Vivès. Ce dernier était plus particulièrement l’objet de la haine des ordres mendians, les dominicains et les franciscains, dont il avait démasqué la crasse ignorance et l’insatiable avidité. Vaincus un moment, les moines ressaisirent le sceptre de la scolastique et rentrèrent dans les chaires des universités. Quant aux jésuites, ils n’avaient pas attendu, pour mettre Érasme et Vivès hors de leurs bibliothèques, que le saint-office eût interdit la lecture de leurs écrits ; ils les rangeaient parmi les suspects : autores de sospechosa doctrina, dit le père Mariana dans une lettre inédite à don Gaspar de Quiroga, inquisiteur général et archevêque de Tolède.

Plus libéral et plus instruit que le clergé régulier, le clergé séculier en vint à s’indigner de ces rancunes monacales. On a conservé d’un chanoine de Salamanque un mot qui est passé en proverbe : Quien dice mal de Erasmo, o es fraile, o es asno. Il n’en est pas moins vrai que les moines, insensibles à ces épigrammes, eurent raison des humanistes en proscrivant leurs écrits. Telle est la ténacité des préjugés qu’à la fin du siècle dernier, lorsque la munificence d’un prélat ami des lettres permit enfin de donner une édition des œuvres de Vivès, les Commentaires sur la Cité de Dieu furent exclus de la collection. « Notre temps, disait Vivès, ne manque pas de vils parasites et d’insignes flagorneurs, dont les douces flatteries fomentent des énormités : blandis adulationibus facinora fovent. » Ces courtisans sans vergogne, instigateurs de tant de crimes et de tant de sottises, n’étaient autres que les moines ; ils avaient l’oreille des rois, qu’ils gouvernaient par la confession, et diriger la conscience des princes, c’était exercer la puissance suprême.

Vivès n’était pas uniquement un homme d’étude, un humaniste : c’était aussi un penseur, un politique, un publiciste éminent. Un autre enfant de Valence, Federico Furio Sériol, était de la même école. Comme Vivès, il quitta Valence de bonne heure ; il alla continuer ses études à Paris, et les acheva à Louvain. Dépassant Érasme, il soutint contre les théologiens catholiques une thèse tout à fait protestante, la convenance et la nécessité des traductions de la Bible en langue vulgaire. Ce qu’il avait publiquement soutenu, il l’imprima, et pour avoir osé écrire ce qu’il pensait, Sériol fut en danger de perdre la vie. Il ne se sauva que par la protection spéciale de Charles-Quint. Son génie politique plaisait à l’empereur, qui l’estimait aussi pour son caractère droit et ferme. Il l’envoya