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espagnol, car c’est dans cet acte que chacun montre au public accouru à la fête le vrai fondement de ses croyances, les uns en niant leur foi, les autres en lui rendant témoignage.

C’est le 21 mai 1559 que fut célébré à Valladolid le premier acte de foi en l’honneur des protestans. La régente d’Espagne, en l’absence de Philippe II, présidait la cérémonie. Elle était accompagnée du jeune prince don Carlos et de tout ce que la cour avait de plus brillant. Les accusés étaient au nombre de trente. Deux surtout méritent quelque attention, Augustin Caçalla et le bachelier Herrezuelo. Le premier était de race juive, chanoine de Salamanque et ancien prédicateur de Charles-Quint. Son séjour en Allemagne l’avait converti à la religion réformée. De retour en Espagne, il se livra à une propagande très active : il pouvait passer pour le chef des protestans de la Vieille-Castille. Le cœur lui faillit en face de la mort. Il abjura, se rétracta, et obtint, à force de pusillanimité, qu’on l’étranglât avant de le livrer aux flammes. Bien différente fut la fin du bachelier Herrezuelo. Il refusa de se rétracter, et sa contenance plus que sévère montra à sa jeune femme, doña Leonor de Cisneros, tout le mécontentement que lui causait sa faiblesse. Celle-ci n’avait que vingt-quatre ans. Arrêtée en même temps que son mari, mais séparée de lui, elle s’était laissé persuader de ne pas mourir. Soumise à une pénitence humiliante, elle puisa cependant des forces dans l’exemple de son mari ; elle mourut neuf ans après lui, et du même supplice. La fermeté d’Herrezuelo passa en proverbe ; on disait en Castille, pour désigner un homme entêté : Porfiado y cabezudo como Herrezuelo. Les autres accusés furent condamnés, les uns au bûcher, les autres à une prison perpétuelle, quelques-uns à des pénitences ridicules ou odieuses, tous à la perte de leurs biens au profit du saint-office. Ce tribunal faisait parfois grâce de la vie, mais il ne cédait jamais sur le chapitre de la confiscation. Philippe II, protecteur constant de l’inquisition, avait remis en vigueur une loi de Ferdinand le Catholique, par laquelle les délateurs avaient droit au quart des biens des accusés. Dans ce même acte de foi, on brûla les restes exhumés de doña Leonora de Vibero, mère d’Augustin Caçalla, convaincue d’avoir favorisé les hérétiques. Sa maison, rendez-vous des religionnaires, fut rasée, et sur les ruines fut dressée une pierre monumentale qui est restée debout jusqu’en 1809. À cette époque, un général français la fit abattre et la laissa sur place, comme pour faire honte au peuple qui avait respecté près de trois siècles ce monument du fanatisme[1]. Le premier auto-da-fé de Valladolid,

  1. Ce monument, relevé par Ferdinand VII, a disparu sous la régence d’Espartero ; la rue, qui s’appelait « Calle del Rotulo de Cazalla, » échangea en même temps son nom contre celui de « Calle del Doctor Cazalla. »