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dans l’empire turc et pour brouiller du même coup toutes les puissances entre elles. — Vous prenez bien votre temps, nous dira-t-on, pour rêver de nouveau l’apaisement et pour donner l’essor à vos incorrigibles espérances ! — Notre illusion est plus modeste. Nous croyons qu’en Italie et en Orient les choses ne se presseront pas comme on l’avait d’abord redouté : nous croyons que les deux crises nous accorderont encore des délais ; nous nous emparons de ces délais possibles et probables ; nous enregistrons l’ajournement d’un péril qui avait paru imminent comme un avantage marqué pour la sécurité générale, vis-à-vis duquel on n’a pas le droit de faire le dédaigneux. Voilà tout.

Commençons par l’Italie. Ne vous semble-t-il pas que la révolution italienne manque de tempérament, et qu’elle n’est pas destinée à procéder par ces bonds impétueux qui ont fait à la fois la terreur et l’entraînement irrésistible de la révolution française ? On le sait, les appréciations que nous avons portées sur les affaires d’Italie ont été libres de tout préjugé de parti et de routine diplomatique. Nous avons soutenu de nos vœux les plus énergiques l’affranchissement de l’Italie. Nous avons acquis le droit d’être considérés par les Italiens comme des témoins impartiaux. Nous pouvons donc exprimer en toute franchise les pensées que nous inspire l’état présent de l’Italie.

Lorsqu’on parle de la révolution italienne, il faut écarter toute comparaison avec l’objet, le caractère et les ressources de la révolution française. La révolution française était dans son principe un développement purement intérieur de notre histoire : il s’agissait pour nous de la création de nouvelles institutions politiques intérieures ; notre existence et notre unité nationale étaient puissamment et glorieusement fondées avant la révolution ; c’était même le degré auquel notre unité nationale était parvenue qui rendait mûre, possible et nécessaire la réorganisation de notre régime politique. Il s’en faut que l’Italie soit dans une situation semblable. L’unité nationale n’y existe qu’à l’état d’idée, et cette idée est toute récente ; cette idée est loin d’être le résultat naturel de l’histoire de l’Italie : toute cette histoire y est contraire. L’idée unitaire, au lieu d’être le fruit du développement historique de l’Italie, ne s’est produite que comme le moyen d’atteindre une autre fin. Les Italiens qui étaient hier le plus opposés à l’idée unitaire s’y sont convertis non pas directement par une foi véritable dans l’unité, mais indirectement, parce que l’unité leur a paru être le seul moyen pratique d’arriver à l’affranchissement de la domination étrangère, à l’indépendance de l’Italie. Il résulte de cette situation plusieurs conséquences que les Italiens feraient bien d’envisager de sang-froid. L’unité italienne étant une arme de guerre contre l’étranger, le moyen invoqué pour expulser l’Autriche de la péninsule, tout effort pour réaliser l’unité devient pour l’Italie elle-même un péril extérieur, car chaque tentative unitaire est une menace directe contre l’Autriche. Ce n’est même pas là le seul péril extérieur que