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rencontre le mouvement unitaire. Les souverainetés que ce mouvement attaque dans la péninsule, celles du roi de Naples et du pape, existent en vertu des traités, et sont étroitement liées au droit public européen. Les coups dirigés contre le roi de Naples et le pape retentissent donc bien au-delà de l’Italie, soulèvent contre l’Italie une multitude d’adversaires redoutables, et créent une commotion européenne. Ces coups mêmes, comment les Italiens peuvent-ils les porter ? Il est visible qu’ils n’ont à leur disposition, dans une telle entreprise, ni cet enthousiasme populaire unanime dont l’expansion indomptable emporte les trônes, ni ces ressources concentrées et organisées qui deviennent le formidable instrument d’une dictature révolutionnaire. Quand la révolution française fut obligée de supporter l’assaut de l’Europe, pour s’affermir au dedans et se défendre au dehors, elle eut à son service l’ardeur des masses, les mœurs guerrières de la nation, et la centralisation dont l’ancien régime lui avait légué le génie et les ressorts. Les Italiens n’ont rien de semblable en leur pouvoir : la passion révolutionnaire n’anime pas leurs masses, leurs populations n’ont pas les mœurs militaires, les hommes d’initiative et de commandement leur manquent. Pour l’attaque et pour la défense, ils ont tout à créer en matière d’organisation.

Dans un tel état de choses, il nous semble que, bien loin de presser la chute du roi des Deux-Siciles et la disparition de l’autonomie napolitaine, les hommes les plus intelligens de l’Italie devraient se féliciter des concessions que vient de faire le roi de Naples comme d’une occasion unique qui leur permet, s’ils en savent profiter, de modérer honorablement et sagement la marche de la révolution, et d’ajourner au moins des compromissions dangereuses. C’est surtout le gouvernement piémontais qui est tenu de se rallier à ces conseils modérés. Le gouvernement piémontais porte devant l’Europe la responsabilité de la révolution italienne ; il est appelé à profiter des bonnes chances de cette révolution, il est destiné à en subir les mauvaises. Sa position n’a jamais été plus critique. S’il travaille au renversement du roi de Naples, il ne fera que hâter l’heure de ses propres périls. Le mouvement unitaire triompherait alors avant que l’Italie eût pu organiser ses ressources offensives et défensives. Or l’on sait que les mouvemens révolutionnaires, une fois lancés, ont peu de souci des moyens pratiques, et vont sans réflexion où la passion les entraîne. Le roi de Naples renversé, l’annexion des Deux-Siciles accomplie, le Piémont serait immédiatement ramené et poussé par ce mouvement vers l’Autriche. Le Piémont cependant n’aurait pas eu le temps de créer l’armée italienne, nous disons à dessein l’armée italienne, car il est évident que la vieille et solide armée piémontaise n’existe plus. On lui a enlevé ses meilleures troupes avec la brigade de Savoie. Les recrues lombardes, romagnoles, toscanes, parmesanes, modenaises, débordant dans les anciens cadres, n’ont pas pu et ne pourront de longtemps composer une armée homogène et s’inspirer d’un solide esprit militaire. Si