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cette poétique et mystérieuse apparition doit avoir été très puissante, car le ciel s’illumina jusqu’à l’île de Cuba, qui se trouve pourtant placée au-delà du tropique du Cancer.

Une seconde aurore boréale, qui fut comme une terminaison de la première, se montra en quelques endroits le 2 septembre, notamment à la Guadeloupe et à Cuba, où cette nouvelle illumination fut même plus brillante que la première. L’hémisphère opposé à celui que nous habitons paraît avoir ressenti au même moment le contre-coup de ce grand phénomène magnétique. La nuit du 1er septembre, on aperçut une aurore australe dans le Chili, à Concepcion, à Santiago, à Valparaiso. Pendant toute la période de ces apparitions, le magnétisme terrestre paraît avoir été fortement en jeu, et notre planète ressentit ce qu’on peut nommer un véritable orage magnétique. Les délicates aiguilles dont les oscillations trahissent les moindres fluctuations de la force magnétique restèrent dans un état d’agitation continuelle et se trouvèrent comme affolées pendant une grande partie de ce temps. Plusieurs jours déjà avant l’aurore boréale vue à Paris, les mouvemens incohérens de la boussole attestaient à l’Observatoire de grandes perturbations ; l’orage devint ensuite assez fort pour mettre obstacle à la transmission des dépêches sur un très grand nombre de lignes télégraphiques ; les fils, qui sont toujours en communication avec la terre, se trouvaient parcourus par des courans venus du sol et tout à fait impossibles à contrôler. Le même fait se reproduisit aux États-Unis. Le 12 octobre, les aiguilles magnétiques ressentirent un nouvel orage à Paris, à Lisbonne, à Rome, à Pétersbourg ; mais l’intensité de cette perturbation ne fut point assez grande pour permettre à l’aurore boréale de se montrer.

Il serait peu philosophique de ne pas chercher quelque connexité entre l’ensemble des phénomènes que je viens de rappeler et les ouragans qui se déchaînèrent pendant le mois d’octobre 1859 sur une partie de l’Europe. La tempête sévit principalement sur les côtes occidentales de notre continent, et notamment sur celles de l’Angleterre. De nombreux naufrages signalèrent la fatale nuit du 26 octobre, entre autres celui du bateau à vapeur le Royal-Charter, venant d’Australie avec quatre cents passagers, qui alla se perdre corps et biens non loin de Holyhead sur les rochers de la côte. La tempête n’épargna pas même les navires réfugiés dans les ports : dans celui de Holyhead se trouvait à l’ancre ce gigantesque steamer, qui, nommé d’abord le Leviathan, s’appelle aujourd’hui le Great-Eastern[1]. Durant la nuit du 25 octobre, l’énorme vaisseau courut

  1. Ce vaisseau-monstre, de 22, 500 tonneaux, la dernière œuvre du célèbre Brunel, paraît voué à toutes les mésaventures. Ses débuts ont été si malheureux qu’en ce moment les compagnies d’assurances demandent une somme six fois plus grande que de coutume aux hardis amateurs qui vont bientôt accompagner le Leviathan dans un voyage d’essai à New-York.