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mari ivrogne, des enfans malades, rarement un jour de repos, jamais un moment de plaisir : quelle destinée ! Ce ne sont pas là des exceptions.


III

Il nous reste à suivre les ouvrières dans les logemens où elles élèvent leur famille, et où elles viennent chercher le repos après une longue journée de travail, pendant que leurs maris courent s’enivrer au cabaret. Plaçons-nous d’abord dans la plus importante de nos villes industrielles du département du Nord.

On se souvient encore de l’émotion produite par M. Blanqui, il y a plusieurs années, lorsqu’il décrivit les caves où croupissaient, c’est le mot, plus de trois mille ménages d’ouvriers à Lille. On cria de toutes parts à l’exagération. Il n’exagérait pas ; seulement il avait le courage de dire ce que d’autres n’avaient pas même le courage de croire. Depuis, on s’est acharné avec un zèle admirable à la destruction de ces caves. Sur trois mille six cents, plus de trois mille ont été comblées. Celles qui restent ne servent pas toutes d’habitation ; on en voit plusieurs sur la grande place, qui sont des magasins ou des cafés assez comfortables. Il y a pourtant encore à Lille et à Douai quelques centaines d’échantillons des caves décrites par M. Blanqui. Un soupirail sur la rue fermé le soir par une trappe (une planque), quinze ou vingt marches de pierre en mauvais état, et au fond une cave pareille à toutes les caves, c’est-à-dire une cage de pierre voûtée, n’ayant pour sol qu’un terri, éclairée seulement par le soupirail, et mesurant ordinairement quatre mètres sur cinq, telle est une cave de Lille. On entend dire souvent que ces caves sont à tort regardées comme inhabitables, que les ouvriers s’y plaisent, qu’elles sont fraîches en été, chaudes en hiver : cela peut être vrai de nos sous-sols parisiens, vastes, aérés, bien bâtis, bien planchéiés, où l’on ne couche que rarement ; pour les caves de Lille, ceux qui les défendent, fussent-ils Lillois, ne les ont pas vues. Il en reste une au numéro 40 de la rue des Étaques, de cette rue que M. Blanqui a rendue si célèbre. L’échelle appliquée sur le mur est si roide et en si mauvais état, qu’on fera bien de la descendre très lentement. Il y a tout juste assez de jour pour lire au bas de l’escalier ; on n’y lirait pas longtemps sans compromettre ses yeux : le travail de couture est donc dangereux à cette place ; un pas plus loin, il est impossible, et le fond de la cave est entièrement obscur. Le sol est humide et inégal, les murs sont noircis par le temps et la malpropreté. On respire un air épais, qui ne peut jamais être renouvelé, parce qu’il n’y a d’autre ouverture que le soupirail. L’espace de trois