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que des cachots ; ces longues files de chambres garnies où l’eau tombe goutte à goutte par les toits effondrés, où manquent l’espace, l’air et le jour, enfouies dans des caves, perchées dans des greniers, entassées, serrées, pressées les unes contre les autres, étouffées dans d’humides et obscurs couloirs, séjour affreux de la faim, de la maladie et de la débauche. Dans la cour n° 136 sur le boulevard Cérès, on peut voir encore sous un escalier une soupente de 2 mètres de long sur 1 mètre 1/2 de large. Il est impossible de s’y tenir debout, même sous la partie la plus élevée de l’escalier ; il n’y a point de fenêtre, et pour avoir un peu d’air et de jour on est contraint de laisser la porte ouverte : ce n’est plus aujourd’hui qu’un fournil ; mais le docteur Maldan y a soigné une femme paralytique qui a vécu dans ce trou, si cela peut s’appeler vivre, pendant deux ans et demi.

Toutes les villes industrielles offrent le même spectacle. À Thann, dans le faubourg Kattenbach, un logement de deux pièces étroites qui abrite le père, la mère, la fille et le gendre avec quatre enfans n’a d’autre entrée qu’une étable à porcs, où le propriétaire entretient de superbes échantillons de la famille porcine côte à côte avec les locataires. Tout près de là, une chambre assez vaste et assez bien éclairée servait de logement à neuf personnes en 1855, lorsque le choléra éclata ; le fléau fit sept victimes en deux jours. Toute cette population était moissonnée comme des épis de blé par la serpe du faucheur ; quand la mort entrait dans une maison, on ne pouvait plus être sauvé que par un miracle. Laissons de côté Mulhouse, que M. Villermé a vue encore si misérable en 1840, mais qu’il ne reconnaîtrait plus aujourd’hui, et à laquelle nous devrons peut-être un jour la régénération de nos mœurs industrielles ; traversons toute la France. Elbeuf, dont la prospérité industrielle est si grande, devrait avoir des logemens salubres ; c’est une ville toute neuve, et qui peut s’étendre aisément sur les coteaux qui l’avoisinent. On trouve en effet jusqu’à mi-côte, le long d’un petit chemin bordé de rians arbustes, quelques maisonnettes bâties sans soin et sans intelligence par de petits spéculateurs à peine moins misérables que les locataires qu’ils y recueillent. On monte deux ou trois marches formées de quelques pierres non taillées, et l’on se trouve dans une petite chambre éclairée par une étroite fenêtre et dont les quatre murs de terre n’ont jamais été ni blanchis ni crépis. Quelques madriers à demi pourris, posés de champ sur le sol, simulent un plancher. Sur le bord du chemin, une vieille femme loue 65 centimes par semaine une hutte de terre qui est littéralement nue : ni lit, ni chaise, ni table ; on en demeure confondu. Elle couche sur un peu de paille trop rarement renouvelée, tandis que son fils, qui est manœuvre sur le