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port, dort le soir sur la terre humide sans paille ni couverture. À quelques pas de là, en arrière du chemin, un trameur âgé de soixante ans habite une sorte de hutte ou de guérite, car on ne sait quel nom lui donner, dont la malpropreté fait soulever le ; cœur. Elle n’a que la longueur d’un homme, et 1 mètre 25 centimètres environ de largeur. Il y demeure jour et nuit depuis vingt ans. Aujourd’hui il est presque idiot, et refuse d’aller occuper un logement meilleur qu’on lui propose.

La misère n’est pas moins horrible et surtout elle est beaucoup plus générale à Rouen. On ne peut se faire une idée de la malpropreté de certaines maisons à moins de l’avoir vue : Les pauvres gens alimentent leur feu avec des débris de pommes qui ont servi à faire de la boisson, et qu’on leur donne pour rien ; ils en ont des quantités dans un coin de leur chambre ; une végétation hybride sort de ces amas de matière végétale en putréfaction. Quelquefois les propriétaires mal payés négligent les réparations les plus urgentes. Dans une mansarde de la rue des Matelas, le plancher, entièrement pourri, tremble sous les pas des visiteurs ; à deux pieds de la porte est un trou plus large que le corps d’un homme. Les deux malheureuses qui habitent là sont obligées de vous crier de prendre garde, car elles n’ont pas un meuble à placer en travers de ce trou, pas un bout de planche. Il n’y a chez elles que leur rouet, deux chaises basses et les restes d’un bois de lit sans paillasse. Sur une petite place perdue à l’extrémité de la rue des Canettes, et dont les maisons en bois paraissent toutes sur le point de s’écrouler, un tisseur de bretelles est allé se loger avec sa famille dans un étroit espace destiné évidemment à servir de grenier. Le logement a 2 mètres 30 centimètres sur 4 mètres 95 centimètres, si on mesure le plancher ; mais une saillie, nécessitée par les tuyaux de cheminée des étages inférieurs, en encombre la meilleure moitié, et le reste est tellement rapproché du toit, qu’on ne peut faire trois pas en se tenant debout. Quand le mari, la femme et les quatre enfans se trouvent réunis, il est clair qu’ils ne sauraient se mouvoir.

Les maisons d’ouvriers, pour quelques-uns des propriétaires, sont d’un revenu très médiocre à cause des non-valeurs. Un loyer de 1 franc par semaine est une charge écrasante pour des gens qui ne sont pas toujours assurés d’avoir du pain, et il n’y a pas de saisie possible à cause de l’absence presque complète de mobilier. Le lit même, le lit que la loi ne permet pas de saisir, manque dans un grand nombre de ménages. Cependant à Reims, à Saint-Quentin, à Lille, à Roubaix, on trouve que c’est faire un bon placement que d’acheter ou de construire des maisons d’ouvriers. On arrive quelquefois à tirer 10 et 15 pour 100 de son argent ; mais c’est toute une